En toute violation du principe de légalité, le maire de la commune Golfe 7, Aimé Koffi Djikounou, procède à la démolition d’une église et à la saisie des matériels du pasteur Assafo Komi. Pour justifier la voie de fait et cet abus d’autorité, son chef de cabinet, Sewonou Komi Céphas, étale pompeusement sa méconnaissance criarde du droit administratif, avec ces propos d’une puérilité absolue : “La présence de l’autorité devant celui qui ne veut pas obtempérer à une décision dépasse même ce que nous appelons procédure d’arrêt des travaux”. Un scandale.
Lundi 6 novembre 2023, les agents de la mairie Golfe 7, sans aucune décision de justice ou administrative régulièrement signifiée les autorisant à procéder à une démolition, débarquent sur le site où est érigée l’église internationale de la montagne de Jésus-Christ Lumière, et procèdent à sa démolition, puis à la saisie de tous les matériels, sous le regard médusé des riverains, le tout en l’absence et à l’insu du propriétaire, le pasteur Assafo Komi. Le mardi 7 novembre, une équipe des rédactions de La Symphonie et afrikdpeche.tg s’est rendue sur les lieux, où étaient encore en activité les agents de la mairie, sous protection policière. Le maire Aimé Koffi Djikounou, logé dans sa forteresse, aura tout fait pour éviter toute rencontre avec les journalistes déployés, renvoyant tour à tour à son 3e adjoint, puis à son chef de cabinet.
Dans les faits, le pasteur aura été averti verbalement quelques jours avant la démolition par les services techniques de la mairie et le 3e adjoint au maire, mais l’opération de démolition sera organisée de manière arbitraire, en dehors de tout cadre légal.
“J’ai rencontré dans un premier temps le responsable des services techniques de la mairie, puis quelques jours après, précisément le 31 octobre 2023, j’ai été appelé par le 3e adjoint au maire. Je suis allé le voir au bureau. Il m’a dit que le maire lui a demandé de m’informer que le site sur lequel je construis mon église est une réserve administrative. Je lui ai dit que ce terrain est une propriété de la famille Amouzou, qui me l’a cédé; les propriétaires m’ont dit que la question de réserve administrative les a amenés à assigner l’Etat en justice, et que l’affaire est pendante devant le tribunal de Lomé. Le 3e maire m’a rappelé le lundi matin 06 novembre, je lui ai dit que je vais passer au bureau le voir dans la journée en compagnie des propriétaires terriens. Peu après, les riverains m’ont appelé pour m’informer que les agents de la mairie sont en train de démolir mon église. Ils ont, à la fin des opérations, emporté tous les matériels, notamment les tôles, les chaises, des bois, les briques”.
La réserve administrative en question
Le site litigieux est une réserve administrative, c’est l’argument principal tenu par les responsables de la mairie Golfe 7, pour justifier l’opération de démolition. “L’endroit où le pasteur est en train d’ériger son église est une réserve administrative. Il était prévu à cet endroit un hôpital. Des messages lui ont été envoyés, les agents de DST sont allés le voir pour lui dire que l’endroit où il est en train d’ériger son église est une réserve administrative. La dernière fois, c’est le 3e adjoint qui s’est approché de lui pour qu’il dégage les lieux. Malheureusement il ne comprenait pas. Si on le laisse continuer, quand il aura implanté un plus grand immeuble, l’enlèvement serait plus difficile. Ce qui a amené le maire à prendre les dispositions afin de dégager son immeuble du site“, indique Sewonou Komi Céphas. Avant d’ajouter : “Les soi-disant encore propriétaires dudit lot, s’ils ont intenté un procès contre l’Etat devraient envoyer copie à la mairie. S’ils ne l’ont pas fait, nous ne trouvons pas légitime leurs préoccupations. Au moment où les propriétaires terriens étaient en train de morceler en lots leur, que ce soit 6 ou 10 hectares, ont prévu des réserves administratives. Et selon la loi, nous reconnaissons le quote-part réservé à l’Etat y compris les réserves administratives et les voies qui y seront construites. Est-ce que les propriétaires vous ont montré le plan actualisé de cette localité et il se retrouve encore que cette partie est une propriété leur appartenant? (…) La mairie n’est pas venue pour récupérer les terrains des propriétaires mais pour sauvegarder les réserves administratives“.
Il se trouve que la mairie, très pressée de démolir l’église, et comptant sur le monopole de la force, n’a ouvert aucune instance de dialogue avec les propriétaires terriens désignés, pire, n’a daigné soumettre la démolition de l’église à la procédure requise en la matière. C’est le jour où ces derniers devaient rencontrer le 3e maire, que le “tout-puissant” maire, Aimé Koffi Djikounou, a délivré, verbalement, le permis de démolir.
Un membre de la famille propriétaire, Didier G., apporte son éclairage : “Quand nous avons fait notre plan, que nous avons déposé à l’Urbanisme, on nous informés que notre terrain est une réserve administrative suivant la planche 83; il était donc dit que l’Etat allait nous faire une rétrocession, et c’est bien pour réclamer cette rétrocession que nous avons assigné l’Etat et l’affaire est encore pendante devant la justice. Nous attendons soit une rétrocession, soit un dédommagement. Si notre neveu, qui est le pasteur, érige une construction sur le terrain, et la mairie veut la détruire, il faut lui notifier un document qui lui fixe un délai. Si la mairie, sans respecter cette procédure, vient par la force détruire l’immeuble, on se demande dans quel pays nous vivons. L’affaire qui est à la justice, ce n’est pas avec la mairie, mais avec l’Etat”.
La dernière phrase du sieur Didier soulève d’ailleurs une question de fond: la réserve administrative en question appartient à l’État ou à la mairie? Parce qu’il ne faut pas confondre l’Etat et la collectivité territoriale. Le domaine public appartient à trois personnes morales de droit public que sont l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics. Mais ici, la réserve administrative et à qui elle appartient intéressent fort peu, la quintessence du débat tourne autour de la force qui a supprimé le droit dans la conduite de la procédure qui a abouti à la démolition de l’immeuble.
L’autorisation de démolir
L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Pour le juriste autrichien Hans Kelsen, c’est un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée, ce qui suppose la prééminence du droit sur le pouvoir politique, ainsi que le respect de chacun, gouvernants et gouvernés, de la loi. Cette approche, où chacun, l’individu comme la puissance publique, est soumis à un même droit fondé sur le principe du respect des normes, ne serait pas la chose la mieux partagée à la mairie Golfe 7. Là, le maire et ses suppôts, gonflés, aveuglés par le zèle et l’autoritarisme, se croient au-dessus des lois de la République, et même de l’Etat, et ne maîtrisent – avec brio – que le langage de la force. Confirmation faite avec ces propos du jeune présomptueux, Sewonou Komi Céphas, débités avec un cocktail explosif de fatuité, d’arrogance et de condescendance :
“Si nous, nous savons que c’est une réserve administrative, celui qui vient y construire doit normalement venir adresser un courrier à la mairie pour dire qu’il veut construire une église sur telle localité. Etant dit que celui qui est en train de faire cette construction ne s’est même pas référé à la loi…, la mairie est en droit d’arrêter les travaux, et si on dit arrête les travaux une deux trois fois et tu insistes, je ne vois pas autre formule que d’arrêter par force le temps de régler ce qui est à comprendre”.
Le chef de cabinet du maire Aimé Djikounou, débordant d’énergie, va par la suite s’enfoncer dans son ignorance lamentable des règles qui régissent le fonctionnement d’une administration, en terminant par ce «cours magistral» en Droit des collectivités territoriales :
“La présence de l’autorité devant celui qui ne veut pas obtempérer dépasse même ce que nous appelons procédure judiciaire”. Sous le choc, croyant avoir mal saisi, nous le relancions. Il rallume de plus belle : ” La présence de l’autorité devant celui qui ne veut pas obtempérer à une décision dépasse même ce que nous appelons procédure d’arrêt des travaux”.
Un tel raisonnement relève tout simplement d’une aberration juridique, et constitue une menace majeure à la paix sociale, et éventuellement une cause de trouble à l’ordre public. Devrait-on le rappeler, au nom du principe de légalité, la puissance publique est soumise à des règles qui précèdent son action, dans le but de protéger les citoyens contre l’arbitraire. Aucune disposition légale, de la loi sur la décentralisation au code pénal, ne donne pouvoir au maire d’aller arrêter de son propre chef les travaux, de procéder à la démolition d’un immeuble assortie de saisie des biens des administrés. Ces actions ne peuvent être ordonnées que par la justice. Par ailleurs, l’occupation frauduleuse des immeubles relève d’une affaire pénale. Le Code pénal du Togo, en son article 710, sous le chapitre XI, dispose : “Constitue une occupation frauduleuse le fait pour toute personne d’occuper sans droit, quelle qu’en soit la manière, un immeuble dont autrui ou l’Etat pouvait disposer en vertu d’un titre foncier, ou d’une décision administrative ou judiciaire“.
Alors, à supposer que le pasteur victime de voie de fait a effectivement occupé illégalement un espace réservé à l’Etat, seule une juridiction légalement constituée peut le condamner et autoriser la destruction de ses constructions. L’article 711 du Code pénal est clair : “Toute personne qui occupe, en édifiant des baraques, des paillotes, des cabanes ou autres constructions légères ou cultive frauduleusement, un terrain d’autrui, est punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à deux millions (2.000.000) de francs CFA. La juridiction saisie ordonne l’expulsion de l’occupant ainsi que la destruction des plantations et des constructions qui y ont été édifiées“.
Mot-clé de cette disposition : juridiction saisie. L’alinéa 2 de l’article 712 du même code pénal réitère : “La juridiction saisie peut ordonner, si elle l’estime nécessaire, la démolition des œuvres illégalement entreprises“. La juridiction peut être une juridiction civile ou pénale selon le choix de poursuite du plaignant. Qui saisit la juridiction? Il s’agit des personnes physiques, des personnes morales de droit public ou privé. En clair, même l’Etat est soumis au droit, quand des espaces qu’il considère comme lui appartenant sont occupés illégalement et qu’il veuille faire cesser des travaux. L’Etat, dans toute sa puissance et son invulnérabilité, pose des actes qui précèdent la démolition des immeubles ou la saisie des biens des citoyens, mais il semble que le maire Aimé Koffi Djikounou et son chef de cabinet Sewonou Komi Céphas sont au-dessus du président de la République Faure Gnassingbé, qui incarne aujourd’hui l’Etat, et sont plus hauts que toutes les institutions judiciaires dont regorge ce pays.
L’église complètement fermée par les tôles a été démolie par le maire Aimé Djikounou en violation de tous les textes
Par ailleurs, faut-il éclairer davantage la religion du distingué «professeur de droit», Sewonou Komi Céphas, avec le décret N° 2019-008/PR du 06/02/19 fixant les conditions et les modalités d’occupation du domaine public de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics, en son article 12, qui dispose : ” Nul ne peut, sans disposer d’un titre valide l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public de l’une des personnes morales de droit public mentionnées à l’article 3 du présent décret. L’autorité administrative compétente est tenue, le cas échéant, de faire servir commandement à l’occupant de régulariser sa situation dans un délai d’un (1) mois. Si l’occupant ne régularise pas sa situation dans le délai imparti, l’autorité administrative compétente met fin à l’occupation illégale par toutes les voies de droit“.
A bien comprendre M. Sewonou et son maire, le législateur se serait trompé en précisant dans l’alinéa 3 : “par toutes les voies de droit“. Ou alors, la loi est faite pour l’Etat et toutes les collectivités territoriales, à l’exception de la mairie Golfe 7 sous le magistère de Aimé Djikounou.
“Avant de confier ces postes importants de responsabilité aux gens, il faut s’assurer au minimum de leurs capacités à assumer, à élever la réflexion, à comprendre les fondamentaux de l’administration, parce qu’ils ont entre leurs mains la vie des individus et des communautés. Ce que le chef cabinet du maire a tenu comme discours est d’une gravité absolue, pire même que le forcing opéré par son patron, le maire, pour démolir cette église”, commente un juriste chevronné, indigné, qui a requis l’anonymat.
“Vous voyez comme Golfe 7 baigne dans l’insalubrité, vous voyez l’état calamiteux des routes, vous voyez comment la portion de la voie de Segbe qui traverse cette commune est envahie par le sable, je ne veux même pas parler des problèmes sociaux, le maire est incapable de relever ces défis. Et là où il est fort, où il peut exercer son autorité, c’est ça, détruire une église où les gens viennent noyer leurs soucis et confier leur misère à Dieu”, assène Kodjo A., rencontré sur le site de l’église saccagée.
La saisie des biens d’un citoyen sans décision de justice : bienvenue dans la République Djikounou
Compétence des juridictions
La démolition d’un immeuble par une personne morale de droit public a toujours relevé de la seule compétence des juridictions civiles et pénales. Le régime de démolition est donc soumis à la loi. Au Togo, il y a tant d’intérêt porté au permis de construire que semble avoir été oblitérée l’existence même de l’autorisation judiciaire et ou administrative de démolir. La mairie dispose de la faculté de mettre directement en demeure un contrevenant de remettre en état son terrain, d’engager une sommation de cesser les travaux, d’obtenir au tribunal une ordonnance de cessation des travaux ou de démolition. En France, sur cette question, le droit des citoyens est très bien protégé; la décision de démolition fait même l’objet d’un affichage sur le terrain d’assiette ainsi qu’en mairie, destiné à informer les riverains. Car la victime directe ou indirecte (un riverain) peut attaquer la légalité du permis de démolir du maire devant le juge administratif. En tout état de cause, pour détruire un immeuble, qu’il soit sur une réserve administrative ou non, il faut une décision de justice, la mairie n’est pas au-dessus de la loi. Seule une juridiction peut priver un citoyen de ses droits, et ordonner la démolition qui aboutit à l’extinction du droit de propriété. Aucune décision administrative ne peut le faire, ce pouvoir revient exclusivement au juge territorialement compétent.
Recours possible
Le pasteur victime de voie de fait et d’abus de pouvoir du maire Aimé Koffi Djikounou peut, dans un premier temps, solliciter un huissier pour constater les faits, et ensuite assigner la mairie devant le juge administratif, ou carrément devant le juge civil pour voie de fait, en vue d’obtenir une condamnation à la réparation des préjudices. “Indépendamment de préjudices particuliers dont il appartient aux demandeurs de justifier, la seule constatation d’une voie de fait ouvre droit à réparation, 3°chambre civile française, 9 septembre 2009, pourvoi : n°08-11154, BICC n°716 du 15 février 2010 et Legifrance.
L’Etat et tous ses démembrements agissent dans le cadre de la loi. Ainsi, toute action d’une collectivité territoriale doit se fonder sur une base légale. La loi a tout prévu, il est impératif que le maire Aimé Djikounou, tout comme tout autre serviteur de l’Etat, inscrive ses actes dans la loi, et arrête de croire que le petit pan de pouvoir libéré entre ses mains lui donne le droit de se passer du droit pour brimer et porter atteinte aux droits des administrés.