Vindicte publique : quand les populations transfèrent le tribunal dans la rue

La vindicte populaire gagne du terrain et s’érige en tradition dans notre société.Le lundi 22 mars 2021, suspecté coauteur d’une infraction à Adidogome Soviépé, un jeune homme a été arrêté et brûlé vif avant l’arrivée des forces de l’ordre. Une scène d’horreur jouée sur la place publique par une population déchaînée qui choisit de remettre en cause l’autorité de l’Etat en s’appropriant les prérogatives régaliennes en matière du droit et de la justice.

 

Carrefour Boukarou à Adidogomé Soviépé, deux jeunes malfrats, armés de couteaux, s’introduisent le lundi dernier dans un kiosque de transfert d’argent et poignardent à mort la propriétaire, tout en blessant sa collaboratrice. Celle-ci réussit à sonner l’alerte. Le tribunal de la rue s’installe rapidement, et l’un des malfrats présumés, rattrapé, s’expose à la rigueur de la loi de ses juges : l’extinction par la brûlure. La volonté de la population de punir elle-même les délits et les crimes à l’actif des brigands est en passe de prendre le dessus, fort dangereusement, sur les lois en vigueur au Togo.

Malgré toutes les condamnations régulières, le phénomène est en train de prendre de l’ampleur. Une partie de l’opinion publique justifie d’ailleurs cette pratique illégale par la barbarie et la cruauté dont se rendent coupables les braqueurs, d’aucuns estiment que les mécanismes du droit et de la justice sont défaillants et ne se présentent plus comme recours efficaces.

“Ces braqueurs, ces criminels plongent toute une famille dans la désolation et la misère pour toujours en tuant gratuitement des citoyens. S’ils sont arrêtés, ils vont en prison, à peine ils purgent leurs peines, ils reviennent dans la société pour continuer leurs basses besognes. Parfois, pour des raisons injustifiables, certains sont libérés. C’est inadmissible. Moi je ne peux brûler personne, je n’en ai pas le courage, mais si les autres arrivent à le faire, je trouve que ce n’est que justice. Ces bandits méritent cela, il faut des actes forts pour les décourager”, peste Koffi K., mécanicien à deux roues à Adidogome.

La vie humaine est sacrée
Toutefois, aucun argument ne pèse plus que la loi qui interdit la justice privée et l’atteinte à la vie de l’autre, d’autant que la législation togolaise n’autorise la peine de mort, encore moins la prison à perpétuité récemment ramenée à la réclusion à temps. La vie humaine est sacrée, précieuse et inviolable. C’est dire que, quel que soit le crime, même l’homicide volontaire avec circonstances aggravantes, le présumé coupable a droit à un procès équitable où tous ses droits à la défense seront garantis. Et ce procès est tenu dans un tribunal compétent et non dans la rue, le jugement est rendu par des juges et non par un groupe d’individus non qualifiés mus par la vengeance.
“Nul ne peut être arbitrairement privé ni de sa liberté ni de sa vie”, énonce l’article 13 de la Constitution togolaise. Et l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme rappelle : “Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.” La violation permanente de ces dispositions par les populations et l’impunité qui va avec remettent complètement en cause l’Etat de droit.

Responsabilité de l’Etat
Au-delà de la condamnation de l’inaction des organisations de la société civile spécialisées dans la défense des droits de l’homme, il faut regretter la non répression à juste mesure de la justice populaire par les autorités compétentes. Des citoyens ont été lynchés dans ce pays, brûlés vifs, les images des événements ont fait le tour des réseaux sociaux, sans que l’action publique ne soit mise en mouvement. En la matière, la responsabilité de l’Etat est hautement engagée. Les citoyens, en se fondant sur la conception Hobbesienne de l’Etat, ont abandonné entre les mains des gouvernants leur sécurité contre la gestion par ceux-ci de leur liberté. Il revient à l’Etat de gérer cette liberté avec une grande rigueur, aucun citoyen ne doit avoir la liberté de mettre fin à la vie de l’autre, en toute impunité.

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