L’exclusion du ministre Koami Gomado de son parti Alliance nationale pour le changement (ANC) par le président Jean-Pierre Fabre, maire de la commune Golde 4, continue d’agiter l’actualité. Si une partie éclairée de l’opinion trouve déraisonnable la décision, le ministre Gilbert Bawara de la Réforme des services publics, du travail et du dialogue social a enfoncé le clou lors d’une récente sortie sur la chaîne panafricaine New World TV. Dans un brillant exposé lucide et cohérent, Bawara, membre influent du parti au pouvoir, l’Union pour la République, a dézingué et laminé Jean-Pierre Fabre en faisant la claire démonstration de l’absurdité de sa décision qui n’est autre chose qu’un brûlot de contradictions et d’incohérences notoires. Si les propos de Bawara constituent une leçon de pragmatisme politique, ils soulignent avec force la navigation à vue de certains acteurs de l’opposition, Jean-Pierre Fabre en tête, enclins à faire une chose et son contraire concomitamment.
Lire l’intégralité des propos de Gilbert Bawara.
« Vous savez aujourd’hui s’il y a une question à se poser. Ce n’est pas la question du comportement de mon collègue, monsieur Gomado, c’est de savoir qui de monsieur Jean-Pierre Fabre et de monsieur Gomado trahit le peuple. À la veille des élections législatives et régionales du 29 avril, je crois que vous avez entendu, comme moi, monsieur Jean-Pierre Fabre dire aux Togolais qu’il avait tiré les leçons par rapport à la politique de la chaise vide et des boycotts systématiques auxquels il s’était fait livrer et qu’à l’avenir, l’ANC avait décidé de renoncer à la politique de la chaise vide. Je me pose la question : après ces élections, qu’est-ce qui a changé pour qu’il puisse, lui, changer encore ? Vous savez, il y a des parties qui ont choisi d’exceller dans les contradictions et les incohérences. Vous ne pouvez pas être maire, avoir comme vocation et objectif de servir vos administrés, les populations de votre commune et dire que vous n’allez pas coopérer avec le pouvoir central, avec les autorités légitimement établies. Parce que si vous le faites, un, ça signifie un mépris et un manque d’égard et de respect envers vos électeurs parce que vous vous condamnez à l’inaction et à l’immobilisme. Un maire, un conseiller municipal ne peut rien faire s’il ne coopère pas avec le ministère de l’Administration territoriale, avec les services publics, s’il ne bénéficie pas de dotation de l’État, notamment dans le cadre du Fonds d’appui aux collectivités territoriales. Alors moi, j’ai toujours estimé que lorsque l’intérêt national, l’intérêt supérieur du pays l’exige, les hommes et les femmes de bonne volonté doivent accepter de mettre la main à la pâte. Et donc, je crois que monsieur Gomado ait eu le courage de se désolidariser de cette attitude d’incohérence et de contradiction permanente, de s’engager et de servir le pays. Nous devons nous en féliciter et je suis certain qu’ils doivent être très nombreux au sein de l’ANC et des partis politiques qui ont envie et qui, dans les semaines et les mois qui viennent, vont s’engager davantage au service de notre pays.
Je voudrais terminer en disant ceci : si, dans ces contradictions où baignent l’ANC et certains de ses dirigeants, comment peut-on dire, on désapprouve, on condamne la réforme constitutionnelle qui est déjà d’application et rester maire. Si Monsieur Jean-Pierre démissionnait comme maire, il y aurait un peu plus de logique. Si Monsieur Jean-Pierre Fabre disait aux Togolais quelle sera son attitude par rapport aux conseillers régionaux, est-ce que les conseillers régionaux élus sous l’étiquette de l’ANC vont siéger dans les conseils régionaux ou pas ? Mais il devrait dire, ils ne vont pas. Est-ce que ses conseillers régionaux vont participer en tant qu’électeurs et en tant que candidats aux élections sénatoriales ou pas, est-ce que les conseillers municipaux de l’ANC vont se porter candidats et participer au vote des sénateurs ou pas ? Est-ce que lors des prochaines élections municipales en 2025, l’ANC ira encore solliciter les suffrages des Togolais ou pas ? S’il parvenait à donner des réponses cohérentes et crédibles à ces interrogations, je crois que les Togolais auraient une autre attitude envers lui. Sinon, je crois que son attitude déshonore la classe politique et je ne voudrais pas m’appesantir davantage sur les contradictions et les incohérences non pas de monsieur Gomado ou d’une quelconque traîtrise de la part de monsieur Gomado, mais la trahison fondamentale de monsieur Jean-Pierre Fabre par rapport aux Togolais et par rapport aux électeurs. Aller aux élections et ensuite jeter par-dessus bord les suffrages et la confiance que vous ont manifestés les Togolais, ça s’appelle du mépris et un manque de respect pour les Togolais », déballe Gilbert Bawara.
Fabre et les clés d’un règne tranquille du pouvoir
Jean-Pierre Fabre, tout comme bien d’autres acteurs politiques se réclamant de l’opposition, se moque éperdument de l’intelligence des Togolais. En boycottant les législatives de 2018, Jean-Pierre Fabre, qui a entrainé dans ce mouvement périlleux la coalition des partis de l’opposition (C14), a appuyé la fragilisation du contre-pouvoir de l’opposition. Le succès de ces élections boycottées a permis au parti UNIR de dominer l’Assemblée nationale, où réside le cœur du pouvoir politique dans un régime semi-présidentiel. Quelques mois après les législatives, Fabre et son ANC vont se présenter aux municipales de juin 2019 ; il se fait élire maire, un poste et un statut qui le soumettent aux coupes réglées des textes qui régissent le fonctionnement des institutions de la République, lesquels émanent de l’Assemblée nationale qu’il a boycottée pour des raisons de non réalisation des réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales. La plupart de ces réformes se feront durant la mandature de cette Assemblée nationale sans Fabre et l’ANC, notamment, et c’est celle qui lui donne le plus de tournis, la modification de la Constitution.
Tirant leçon du passé, l’ANC participe aux dernières législatives, gagne un siège, mais Fabre refuse de siéger, assurant même que les conseillers régionaux élus sous la bannière de son parti ne siégeront pas lorsque les conseils régionaux seront opérationnels. « Ce n’est pas des décisions pour manifester une réaction épidermique. C’est simple, c’est une position de résistance », se défend-il.
En clair, les paradigmes politiques de Jean-Pierre Fabre et de son parti ANC ne sont qu’un long tissu de contradictions déroutantes qui obstruent la voie de l’alternance politique, tournent en bourrique les populations et balisent au pouvoir en place le boulevard d’un règne tranquille.