La question des détenus politiques au Togo soulève des débats et divergences d’appréciations, des combats, luttes et plaidoyers, et même des affrontements d’écoles juridiques. Y-a-t-il des détenus politiques au Togo? Le docteur en droit, ministre et porte-parole du gouvernement, Christian Trimua, tranche avec force et certitude inébranlable : “Au Togo il n’y a aucun détenu politique”. Son de cloche qui aurait mal tinté dans les oreilles du politologue Madi Djabakate dit Papa Khadidja, qui s’est récemment fendu d’une tribune intitulée : “Message aux Cousins : les Prisonniers de Faure (PF)”, dans laquelle il soutient mordicus le peuplement des maisons de détention togolaises de prisonniers politiques. Décryptage d’une question qui cristallise toutes les passions dans une République où la liberté d’expression se consolide davantage parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’homme ».
Le débat public centré sur les détenus politiques semblait entre-temps baisser d’intensité, c’est plutôt un volcan au repos, dont l’éruption est subitement provoquée par la libération des 46 militaires ivoiriens détenus au Mali grâce à la médiation de Faure Gnassingbé. Au lendemain de cet exploit diplomatique qui continue par retentir, des organisations de la société civile (OSC) du Togo montent au créneau et “demandent aussi au Président Faure Essozimna Gnassingbé de libérer les dizaines de prisonniers politiques au Togo”. La voix de ces OSC sera relayée la 8 janvier 2023 par le journaliste Rodrigue Ahego lors d’une émission consacrée au décryptage du discours des voeux de nouvel an du chef de l’Etat sur la télévision New World Tv. Emission à laquelle était invité le ministre chargé des Droits de l’homme, porte-parole du gouvernement, Dr Christian Trimua; un autre journaliste, Jean-Paul Agboh Ahoueleté complétait le plateau.
“L’image à mon avis se présente comme l’image de ce papa qui fait du bien à l’extérieur mais qui dans son pays… Il y a des détenus politiques au Togo qui méritent d’être libérés. La joie des familles de ces militaires doit être partagée aussi bien au Togo qu’en Côte d’Ivoire“, lance Rodrigue Ahego pour commenter l’image de l’escale des 46 militaires à Lomé venus exprimer leur gratitude à leur bienfaiteur, Faure Gnassingbé. Pour rebondir, le ministre Trimua s’est échiné à lever les terribles confusions faites par Rodrigue dans son appréciation de l’approche de la médiation togolaise.
«Mon cher ami Rodrigue Ahego fait plusieurs confusions. La première, c’est que depuis le début de cette affaire, ni le Mali ni la Côte d’Ivoire n’ont utilisé l’expression que vous utilisez pour désigner ces personnes. Vous parlez de détenus politiques, c’est une expression qui a un sens précis. Donc vous l’étendez à des dimensions qui n’existent pas dans ce contentieux précis. Deuxième point que vous confondez, c’est un problème bilatéral entre la Côte d’ivoire et le Mali, ce n’est pas un problème intra-malien ou intra-ivoirien. Troisième dimension, et c’était l’un des intérêts du Togo à aider à la résolution de ce problème, c’est une tension bilatérale mais qui avait un enjeu sous-régional (…)». Cette clarification faite, le ministre revient largement sur l’épineux sujet.
“Vous tirez en réalité le sujet par les cheveux pour pouvoir le ramener sur les questions que vous désignez au Togo comme étant des questions de détenus politiques. Je le répète encore une fois, au Togo, il n’y a aucun détenu politique… Vous ne pouvez pas couvrir la délinquance politique en considérant que la délinquance des politiques entraîne automatiquement un délit politique. C’est deux notions qu’il ne faut pas confondre. Nous avons des politiques qui sont effectivement détenus pour des délits de droit commun. Et encore une fois je le répète, si nous mélangeons les concepts, nous n’arrangeons pas le sort de ces personnes“, met-il en garde. De quoi tuer d’emblée ce débat dans cette émission, mais les projecteurs ne s’éteignent guère sur le sujet, il est sans discontinuer décortiqué en toute liberté aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les médias classiques, comme c’est le cas dans toute démocratie.
Traiter la question de la détention politique, c’est aborder un domaine spécifique de l’histoire de la justice pénale qui ne se laisse pas facilement appréhender, car le tracé de la frontière qui la sépare du droit commun est si ténu. Ce tracé, un togolais, politologue bien réputé, en la personne de Madi Djabakate dit Papa Khadidja, semble le maîtriser, et il va faire la démonstration dans un violent pamphlet publié le 20 janvier sur ses réseaux sociaux, intitulé : “Message aux Cousins : Les Prisonniers de Faure (PF)” (sic).
D’entrée, il tacle : “Ces gens détenus sur des bases fantaisistes ne sont autres que des prisonniers d’opinion avant d’être des prisonniers politiques. Un prisonnier politique est une personne emprisonnée pour des motifs politiques, c’est-à-dire pour s’être opposé par des actions (violentes ou non) au pouvoir en place (autoritaire ou moins) de leur pays (internationalement reconnu ou non)“. Si la définition de détenus politiques revêt une grande difficulté, pour Madi, “au Togo, il est plus facile de l’apprécier car beaucoup d’arrestations se sont déroulées à la suite des manifestations du Parti National Panafricain (PNP)“.
Comme critères de définition de détenus politiques, le politologue liste, entre autres, une détention imposée en violation des droits fondamentaux, en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion et d’association ; une détention imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit ; la durée de la détention ou ses conditions manifestement disproportionnées par rapport à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle est présumée avoir commise ; la détention dans des conditions créant une discrimination par rapport à d’autres personnes. “Il suffit de parcourir le dossier individuel des Prisonniers de Faure pour se rendre compte que beaucoup cumulent ces critères”, soutient-il véhémentement.
Mais tout ce flonflon sera balayé du revers de langue par une séquence de Trimua lors de l’émission sus citée. “Aucun magistrat n’a condamné ou n’a fait détenir quelqu’un pour des délits politiques au Togo. Mais si vous prenez cette qualification, oui vous politisez un problème, mais à partir du moment où vous le politisez, vous ne prédisposez pas les acteurs judiciaires qui travaillent sur ces dossiers à pouvoir les traiter avec la magnanimité qu’ils peuvent éventuellement exercer ou qu’ils vont exercer dans d’autres cas qui sont des cas de violation des règles de droit commun. Vraiment ne faisons pas ça, si nous voulons les aider, n’allons pas sur ce terrain”, conseille le porte-parole du gouvernement.
Des “crimes” et “délits” dans le champ politique
La philosophie pénale connaît peu de concepts aussi controversés que celui de prisonnier politique. La notion de prisonnier politique est complexe et controversée puisqu’il n’existe pas de définition légale consensuelle qui permettrait de déterminer sans équivoque qui peut réclamer ce statut. À la différence de la notion de prisonniers de guerre codifiée par le droit international. Ce statut de prisonnier politique représente un danger certain, puisqu’il implique une reconnaissance politique et donc un degré de légitimité accordé aux revendications y afférentes. Pour leur part, les prisonniers en question revendiquent avec force ce statut puisqu’ils ne se perçoivent pas comme des criminels mais comme des citoyens ayant utilisé des moyens ‘’illégaux’’ par conviction et au nom d’une société meilleure. Ils légitiment leurs actions, se dissocient des criminels de droit commun et qualifient leur incarcération d’illégitime, immorale, voire illégale. Même si Human Rights Watch considère comme prisonniers politiques toutes les personnes détenues pour leurs opinions politiques ou pour leur participation à des activités politiques pacifiques, Nelson Mandela, Mahatma Gandhi, Andreï Sakharov, Aung San Suu Kyi, Alexeï Navalny, Conrad Miret, entre autres, n’ont pas été et ne sont pas reconnus officiellement par leurs gouvernements comme des prisonniers politiques.
Qualifier des citoyens en conflit avec la loi de détenus politiques, c’est dire que leurs actes mettent directement en cause la légitimité et l’autorité du gouvernement qui a choisi de les mettre sous les verrous. C’est une évidence, dans la plupart des cas, les gouvernements à travers le monde rechignent à reconnaître l’existence de prisonniers politiques dans leurs geôles.
Au Bénin, vertement critiqué pour avoir envahi les prisons de détenus politiques, le président Talon répond, lors d’une conférence de presse conjointe animée avec Emmanuel Macron le 27 juillet 2022 à Cotonou : “Il n’y a pas de détenus politiques”. Il se montre plus explicite : “Personne n’est détenu au Benin pour son opinion politique mais les gens sont détenus pour avoir agi, pour avoir commis des délits, des crimes dans le champ politique”.”Je concède à chacun de croire ce qu’il veut“, lâche-t-il.
Pour sa part, Hervé Berville, député français LREM, dans une interview sur tv5monde le 5 décembre 2021, se défendait presque avec la même fougue et la même sémantique : “Il n’y a pas de prisonniers politiques en France !” “Puisque la France est une démocratie qui respecte la diversité des opinions politiques“, justifie-t-il.
Responsabilité mesurée
Le champ politique est dangereux, en y pénétrant, par discours ou par des actes, il faut user de tact et s’en tenir strictement au respect des lois de la République, parce que, au nom de la protection de l’ordre public, de la sûreté de l’Etat, de l’intégrité du territoire, de la sécurité nationale et de la paix sociale…, bien de gouvernements utilisent la prison comme un outil politique pour neutraliser les citoyens qui défient l’autorité de l’Etat. Mais il est constant que l’expression “détenus politiques” est tant galvaudée dans les pays africains et se rapporte à toutes les infractions commises sous le couvert politique. Les moyens à utiliser pour protester contre les choix ou les décisions politiques doivent être rigoureusement revêtus de légalité, autrement les gens seront contraints de répondre de leurs actes, comme c’est bien le cas pour les gilets jaunes en France qui ont tenté d’user de violences extrêmes pour faire triompher leurs revendications, ou ces américains qui ont pris d’assaut le Capitole, le siège du Congrès américain.
Ces derniers, en mettant à sac une institution démocratique, défendent bien une cause politique, parce qu’ils estiment que les résultats des élections ne sont pas conformes à leurs aspirations; pour autant, ont-ils le droit de vandaliser un édifice public en mettant en cause ce que la loi a établi? Deux ans après les faits, Stewart Rhodes, le leader de la milice d’extrême droite qui a mené l’assaut contre le Capitole, et un de ses complices, ont été reconnus coupables de « conspiration séditieuse », une charge pénale rare aux Etats-Unis, et condamnés à la peine maximale de vingt ans de prison. Une condamnation considérée comme une victoire pour le département de la Justice américain. Le verdict « réaffirme la force de notre démocratie et des institutions qui la protègent, y compris notre système judiciaire », a commenté le procureur Matthew Graves dans un communiqué. En Afrique, un procès politique aurait été vite dénoncé, Stewart Rhodes aurait rapidement acquis, dès l’enquête préliminaire, le statut de détenu politique. Dans le champ politique, mesurons nos responsabilités.