Abus d’autorité, abus de confiance, vente illégale et anarchique des terrains d’autrui, défiance des autorités locales, une kyrielle d’accusations dressée par les collectivités Kadzahlo, Azaglo, Aglago, Gbogbleto et Lovi de Bagbe contre Togbui Agbémabiassé Yawo Sokpor Elias, chef du village Bagbé-Route. Ce dernier, devenu hors-la-loi et intouchable semble tout plier sur son passage pour matérialiser, contre vents et marées, sa volonté, celle de s’approprier le vaste domaine foncier de Bagbé-Route, exproprier les propriétaires légitimes et vendre toute parcelle de son choix. Le ministère en charge de l’administration territoriale et même la justice se révèlent impuissants devant les excentricités du “tout-puissant” chef Sokpor Elias. La situation devient intenable à tous points de vue pour les collectivités victimes, et Bagbe-Route est aujourd’hui au bord de l’implosion…
La tension est perceptible à Bagbe, localité située à une quarantaine de kilomètres de Lomé, une étincelle suffira, si rien n’est fait, pour tout exploser. Toute une localité et plusieurs branches de la collectivité Bagbe luttent au quotidien contre la négation par un seul individu de leur droit de propriété sur un domaine foncier.
Genèse de l’affaire
Pour mieux cerner les faits, il est impérieux de remonter l’histoire. Le site litigieux est Bagbe-Route, village situé sur les abords de la route Lomé-Kpalimé. Les ascendants du chef Sokpor Elias sont originaires de Bagbe-village, situé à deux kilomètres de la route. Député à l’assemblée nationale, et donc un haut cadre de la zone à l’époque, le père de Sokpor Elias, Jean Koffi Sokpor, a été copté en 1964 comme mandataire par les collectivités de Bagbe à l’effet de “défendre devant toutes juridictions tant coutumières que de droit moderne, les intérêts opposant la collectivité de Bagbe aux collectivités de Badja, Akoviepe et Noepe relativement au terrain sis à Bagbe-Kpegangome”… requérir l’immatriculation dudit terrain au nom de la collectivité de Bagbé”. Si les habitants de Bagbe-Route, au nom de la cohabitation harmonieuse, ont pu céder un lopin de terre aux Sokpor pour construire une maison, ce geste fraternel ne fait pas de ces derniers des propriétaires terriens de tout le domaine foncier du village, comme le revendique à tort aujourd’hui leur descendant Sokpor Elias.
Une déclaration des chefs villages de Bagbe, à savoir Bagbe-Dokplala, Agove-Dokplala, Anyigbe-Dokplala, Bagbe-Gare, signée le 8 mars 2019, situe mieux sur la genèse des événements :
“Nos collectivités ont donné une procuration au sieur Jean Koffi Sokpor le 14 novembre 1964 pour défendre et sauvegarder les intérêts des villages précités. Mais, actuellement, à notre grande surprise, son fils Togbui Agbémabiassé Yawo Sokpor a pris la relève, alors qu’aucune autre procuration ne lui est donnée. Or la collectivité Sokpor n’a pas de domaine foncier à Bagbe-Route mais plutôt à Bagbe-Village distant de Bagbe-Route de plus de 2km. C’est pourquoi, pour s’installer au bord de la route au lieu dit Bagbe-Route, monsieur Oscar Sokpor a demandé une parcelle de terrain en 1973 à la collectivité Kohoe afin de construire une maison. En 1975, Monsieur Sokpor Koffi Jean a aussi demandé à la collectivité Kadzahlo une parcelle de terrain pour la même intention. C’est vraiment paradoxal que le jeune Togbui Agbémabiassé Yawo Sokpor se fait propriétaire de ces domaines. Nous opposons notre refus à cet acte illégal. A cet effet, toute appropriation, revendication d’une quelconque portion de terre à Bagbe-Route pour la collectivité Sokpor représentée par Togbui Agbémabiassé Yawo Sokpor relève d’une mauvaise foi et d’un abus de confiance. Par conséquent, Togbui Agbémabiassé Yawo Sokpor n’est ni le mandataire ni le propriétaire des domaines sis à Bagbe”.
Cette déclaration s’est avérée nécessaire dans un contexte de conflits autour du foncier nourris par le jeune chef Sokpor Elias fermement engagé dans une dynamique d’appropriation des biens immeubles ne lui appartenant ni par voie d’héritage ni par voie d’achat ou de donation. Cette sortie des chefs était précédée de plusieurs initiatives des différentes collectivités, tant devant la justice que devant les autorités locales et le ministère chargé de l’administration territoriale visant à stopper, en vain, le jeune chef Agbémabiassé Yawo Sokpor Elias dans sa détermination à vendre à tout-va les terrains ne lui appartenant pas, et n’ayant jamais appartenu à ses parents. Son papa, de son vivant, n’a jamais violé les dispositions de la procuration, lesquelles ne lui donnaient aucun pouvoir de vente de terrain. De plus, son décès emporte naturellement tous les effets juridiques de ladite procuration, et aucun de ses enfants ne peut s’en prévaloir aujourd’hui pour commettre un seul acte de vente de terrain.
Sokpor Elias, parce que devenu chef traditionnel – par un processus encore discutable -, se croit investi de tous les pouvoirs pour s’accaparer tout le domaine foncier de Bagbe-Route, et vendre les terrains comme bon lui semble, au préjudice des propriétaires légaux et légitimes.
Collectivités et autorités locales, vent debout contre Sokpor Elias
En 2012, la collectivité Kadzahlo, dépassée par les agissements de Togbui Sokpor Elias, a écrit au ministre en charge de l’administration territoriale, lequel a renvoyé l’affaire aux autorités locales pour médiation et compte-rendu. Dans un rapport établi le 15 janvier 2014, le préfet de l’Avé, Awu Kossi, et le président du comité d’arbitrage, Togbui Fiaty II, ont exposé les résultats de leurs actions.
“De nos investigations, le Chef SOKPOR Elias a effectivement vendu une parcelle de terrain en pleine ville à Bagbé-Route au bord de la Nationale N°5, preuve à l’appui, à un certain IBRAHIM qui l’a bâtie et clôturée. Monsieur Sokpor précise que c’est une réserve, ce que la collectivité Kadzahlo conteste en disant que leur collectivité n’étant pas morcelée, il n’y a pas lieu de parler de réserve administrative. Et même si c’est le cas, le chef n’avait aucun pouvoir de vendre leur réserve administrative. Plus loin, nous sommes conduits dans un autre grand domaine que le Chef Sokpor a morcelé disant que c’était son feu père qui exploitait ces lieux de son vivant. La collectivité Kadjahlo représentée par Kadjahlo Ega ne veut pas entendre cela de ses oreilles. Ayant été informé que sur le conflit foncier, l’affaire est pendante à la Cour d’appel de Lomé, nous n’avons pas pu délibérer valablement sur cet aspect”, dit le rapport, qui conclut que tout débordement éventuel lié à cette situation serait à l’actif du chef Sokpor Elias.
Le 10 février 2014, moins d’un mois après ce rapport officiel, les mandataires des collectivités de Bagbe ont également saisi le ministre de l’Administration territoriale avec comme objet : dénonciation des comportements du chef Sokpor de Bagbé-route.
“En effet dans deux lettres adressées à son Excellence Monsieur le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales, les 18 Janvier et 18 Juillet 2012, nous avons eu à protester contre la vente anarchique de terrains d’autrui par le chef Sokpor Elias Agbemabiase de Bagbé-Route. Suite à ces lettres, nous avons appris que Monsieur le Ministre a demandé à Monsieur le Préfet de faire la lumière sur ce qui se passe à Bagbé-route. Toujours Monsieur Sokpor continue ses comportements qui sont de nature à créer des tensions dans le village. Excellence Monsieur le Ministre, le chef SOKPOR Elias intronisé il y a à peine cinq ans est devenu insupportable. Il ne respecte personne en l’occurrence le Préfet, les chefs de cantons et ses administrés. Ainsi, il s’est fait librement entourer d’une bande d’amis comme notables et secrétaire. C’est avec cette équipe que M. Sokpor Elias a vendu un lot de terrain dans le domaine de la collectivité Kadzahlo à 500.000 fCFA à M. IBRAHIM et cette affaire est actuellement devant la cour d’appel de Lomé. M. Sokpor Elias veut transformer ce même domaine en une réserve administrative sans le consentement de la collectivité Kadzahlo.(…) Excellence, Monsieur le Ministre, en 2012 le chef Sokpor Elias et son équipe sont arrivés dans le domaine de la collectivité Edze avec des géomètres sans avertir ladite collectivité. Il a fallu l’intervention des sages pour éviter le pire. Lorsque la famille a porté plainte chez le préfet, ce dernier a dit qu’il est fatigué et dépassé par les comportements inadmissibles du chef Sokpor et l’a conseillée à saisir la justice. Lorsque la famille Kohoe aussi voudrait lotir son domaine qui se trouve au bord de la nationale N° 05 à Bagbé-Route, le chef Sokpor et ses frères s’y sont opposés. Mais en toute franchise, la famille Sokpor ne possède aucune parcelle de terrain au bord de cette nationale et c’est avec son titre de chef qu’il arrive à commettre ces méfaits. Le 25 septembre 2013, lorsque Monsieur Edze Félix et son petit frère veulent construire sur une parcelle qui n’appartient même pas à la famille Sokpor, le chef Sokpor lui-même a porté sérieusement la main sur ces derniers devant les forces de sécurité qui étaient au poste de contrôle de Bagbé-Route, et le chef du village de Hekpe aussi était témoin oculaire. Mais malheureusement, le chef Sokpor, après avoir battu ses administrés, a refusé de payer les produits prescrits aux victimes. Toujours informé de la bagarre, le préfet a renvoyé l’affaire au tribunal en ajoutant qu’il est dépassé par les comportements de ce chef. Excellence, monsieur le ministre, dans le souci de préserver un climat de paix, de confiance et de respect dans notre village, nous vous prions d’examiner sérieusement cette situation épineuse que traverse la population locale à cause d’un chef qui abuse à outrance de son autorité pour brimer les citoyens, car il donne l’impression que l’arrêté de nomination dont il dispose lui confère le titre de grand propriétaire foncier voire de détenteur de tout le patrimoine de la population de notre milieu”, détaille le courrier.
Procédures judiciaires
Le volet judiciaire de cette affaire est très houleux et comporte plusieurs dossiers impliquant presque toutes les branches des collectivités de Bagbe contre le seul Sokpor Elias. Sur une action de la collectivité Kadzahlo visant la confirmation de son droit de propriété, le tribunal de première instance de Kévé a débouté par jugement n° 212/11 du 17 août 2011 le chef Sokpor Elias de tous ses moyens et conclusions et constaté que le terrain litigieux constitue une réserve du village, lui fait interdiction de disposer de quelque manière que ce soit de la moindre portion de terre de ladite réserve et lui enjoigna de mettre un comité villageois pour la gestion de cette réserve dans l’intérêt et pour le compte du village Bagbé.
La collectivité Kadzahlo, non satisfaite, interjette appel de cette décision qui lui semble pourtant favorable, et la Cour d’appel de Lomé, par arrêt N°342/17 rendu le 28 septembre 2017 a dit et jugé qu’est et demeure la propriété de la collectivité Kadzahlo le domaine discuté, situé à Bagbé route au lieu dit Akadjogbé, et déclaré inopposables à ladite collectivité toutes les ventes consenties aux tiers par le sieur Sokpor Elias, ordonné l’expulsion du sieur Sokpor Elias des lieux ainsi que celle de tous occupants de son chef. Le pourvoi N°107/RS/2018 formé par Sokpor Elias le 9 juillet 2018 a abouti à l’arrêt N°107/RS/2018 du 16 juin 2022 de la Cour suprême. Dans cet arrêt, la Cour l’a tout simplement débouté, confirmant le droit de propriété de la collectivité Kadzahlo sur les lieux litigieux, après avoir démonté une à une les deux branches du moyen unique du pourvoi tiré de la violation de l’article 9 de l’ordonnance N°78-35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire pour défaut de base légale et pour erreur et contradiction dans les motifs.
On pouvait croire logiquement que la décision de la cour suprême, revêtue de la force de chose jugée, allait éteindre les vicieuses visées du chef Sokpor Elias sur le domaine foncier querellé, hélas, il se fiche éperdument de toute décision judiciaire et continue par agir comme un propriétaire attitré des lieux.
Lenteur judiciaire ambiguë
A l’instar de la collectivité Kadzahlo, les autres collectivités ont toujours remporté tous les procès fonciers engagés contre le chef Sokpor Elias, mais ce dernier ne leur donne aucune chance de jouir des droits attachés aux sentences judiciaires, bref, c’est le tout-puissant chef, le John Bri qui sème la terreur dans la zone, au point que même le préfet de la localité se dit dépassé et affiche clairement une impuissance devant ses dérives outrancières.
“A part les procès remportés, il existe encore plusieurs actions intentées par les collectivités contre le chef Sokpor Elias à la justice, mais qui ont du mal à prospérer, les procédures marquées par une lourdeur et lenteur inexplicables. Dès fois, vous avez une ordonnance de la Cour d’appel de Lomé, vous ne pouvez pas l’exécuter parce que dès que vous mettez pied sur le terrain, le chef Sokpor Elias en personne et sa clique viennent vous chasser sous le coup de menaces et d’agressions physiques. Un de nos collègues a été entre-temps violemment tabassé et grièvement blessé. Finalement on se demande dans quel pays nous sommes, une décision de justice ne dit rien à un citoyen, lequel foule au pied l’autorité du représentant du pouvoir central. C’est dire que le chef Sokpor est au-dessus même de l’Etat et de toutes ses institutions”, fulmine le géomètre d’une des collectivités, qui a lui-même déjà subi les assauts des loups de Sokpor Elias sur le terrain.
Un laxisme du préfet qui interpelle
Ce qui paraît incompréhensible, c’est la démission trop facile du préfet Awu kossi devant la défiance et l’indiscipline du jeune chef Sokpor Elias. M. Awu a réussi par un coup de force à mettre tous les chefs de villages et de cantons de l’Avé sous sa coupole et règne sur eux en maître, comment justifier son incapacité à faire entendre raison au jeune chef Sokpor Elias. Est-ce un laxisme stratégique assimilable à une complicité? Une question de bon sens qui taraude les esprits.
Une bombe à retardement
La situation, malgré tout, semble stable jusque-là, mais elle recouvre de multiples tensions qui peuvent éclater à tout moment. “Nous avons maintes fois saisi le ministre chargé de l’administration territoriale. Mais depuis plus de dix ans, c’est le statu quo, et l’on ne comprend plus rien. Au final, le risque que la situation dégénère un jour est grand, si rien n’est fait, parce que nous en avons marre”, dégaine le mandataire d’une collectivité.
Nombre de litiges fonciers impliquant le sieur Elias, sont englués dans le labyrinthe des procédures judiciaires, même ceux qui ont été tranchés, l’exécution des décisions est confrontée à l’opposition farouche de ce dernier que rien ne semble ébranler, puisqu’il n’a peur ni de personne ni d’aucune institution de la République, qu’elle soit judiciaire. “Ses dossiers sont nombreux au tribunal et à la Cour d’appel de Lomé. Outre les collectivités de Bagbé, il est en procès avec bien d’autres collectivités”, renchérit le mandataire. Conséquence, bien de propriétaires terriens légitimes sont aujourd’hui incapables de jouir effectivement de leur droit de propriété.
Refus de répondre
«Monsieur, je ne peux pas te répondre», nou s a lancé sèchement le chef Sokpor Elias, en toute arrogance, dans une conversation téléphonique destinée à établir la contradiction. En réponse à la question : “Vous êtes chef du village de Bagbe-Route, mais nous avons appris que vous n’êtes pas un propriétaire terrien dans la localité, ni vos parents, mais vous vendez les terrains qui ne vous appartiennent pas. Et plusieurs décisions de justice donnent raison à vos adversaires. Que diriez vous de ces informations?“, M. Sokpor demande si nous avons les preuves qui le condamnent. “Nous avons à notre possession des décisions de justice qui donnent raison à vos adversaires“, avions-nous répondu, ce qui a déclenché l’ire du vénéré chef qui a choisi de mettre brutalement fin à la conversation avec : «Monsieur, je ne peux pas te répondre».
Bagbe-Route est en butte à une explosion, c’est une alerte, les autorités compétentes, qui étonnent par leur flexibilité devant les dérives du chef Sokpor Elias, sont averties et interpelées.
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