Les Éperviers démarrent inconfortablement les éliminatoires de la CAN 2025 sous la houlette de Nibombe Dare, ancien Epervier devenu sélectionneur national. L’expertise Dare, certifiée par un diplôme UEFA Pro, a soulevé une montagne d’espoir qui aura accouché, au soir du vendredi 06 septembre, d’une souris. Du choix des joueurs, de la tactique mise en place à la gestion du match, Dare fait parler. A la loupe afrikdepeche, le 3-5-2 réinventé à la Dare.
“Des imbéciles, des incapables, la prochaine fois vous serez seuls dans ce stade”, râle un supporter enragé dégringolant les escaliers à la fin du match Togo-Libéria. L’antre de Kegue, une fois encore, vient d’enivrer l’immense public jaune de désillusion, alors qu’on était à un millimètre du Graal. Nibombe Dare a manqué de faire entrer d’entrée les togolais dans l’univers de rêve qu’ils escomptaient avec un fils du terroir à la tête de la sélection nationale après le long ballet stérile des toubabs.
Choix des joueurs
Un national comme sélectionneur, et subitement, les joueurs locaux disparaissent de la liste des Eperviers. De Claude le Roy à Paulo Duarte, le championnat local était toujours mis en valeur à travers la convocation d’au moins un joueur par match. Sur les deux derniers matchs de Duarte face au Soudan du Sud et à la RDC, on comptait dans le nid des Eperviers Ouro Gneni Wassiou (encore à l’ASCK) et son coéquipier, le défenseur Benjamin Holete. Passons. Fixons plutôt les regards sur les forces en présence, particulièrement le onze entrant face au Libéria. Dans les buts, Dare, sûrement sur proposition de Agassa Kossi, valide le choix hasardeux de Geoffrey Agbolossou, joueur de FC Balagne, club amateur de National 2 en France, l’équivalent d’une quatrième division.
Depuis son arrivée dans ce club en 2023, Agbolossou n’a jamais été titulaire, barré par le français Paul-André Guerin. Si sa convocation est admissible, sa titularisation dans les buts des Eperviers devant deux portiers plus expérimentés interpelle. Malcolm Barcola et Ouro Gneni Wassiou ont été plus d’une fois titulaires dans les cages de la sélection nationale. Pour rappel, Malcolm Barcola a démarré son aventure dans le nid des Eperviers avec une double confrontation avec les Cœlacanthes des îles Comores en septembre 2019 dans le cadre des préliminaires de la coupe du monde 2022. Après le nul (1-1) à l’aller, les Eperviers battent les Cœlacanthes 2-0 et accèdent à la phase de poules, grâce à des prestations abouties de Barcola qui faisait oublier complètement à l’époque un certain Bassa-Djeri Sabirou. L’autre, Ouro Gneni Wassiou, dans le cadre des 3e et 4e journées des éliminatoires de la CAN Côte d’ivoire 2023, a défendu les buts des Eperviers lors de la double confrontation contre les Etalons du Burkina.
Geoffrey Agbolossou dont le club joue ses matchs dans un petit stade de 1500 places (Stade Jacques-Ambrogi), se retrouve titulaire, pour une première, dans un Stade de Kegue grouillant de près de 30 mille personnes, sans acclimatation préalable. Impressionné, crispé, le néo-Epervier a eu bien de mal à entrer dans le match, et malgré quelques arrêts spectaculaires, il aura titillé tout au long du match les nerfs des togolais.
En défense, Dare choisit une recomposition, lançant dans le grand bain Josue Homawoo, peu rassurant, aux côtés de Boateng et Dzene le capitaine, reléguant au banc de touche le guerrier Romao utilisé dans ce secteur de jeu lors des derniers matchs par Paulo Duarte. En clair, dans le choix des joueurs, Dare n’a pas apporté des gages de sûreté, mais c’est le schéma tactique et son animation qui préoccupent le plus.
Le manque d’audace sur le plan tactique
On attendait une révolution tactique avec une nouvelle disposition tactique et un projet de jeu qui permettent de tirer meilleur profit des différents profils de joueurs. Nibombe Dare va montrer peu d’audace et de créativité, en reconduisant le 3-5-2 de Duarte. Le 3-5-2, il faut le souligner, n’est pas le système tactique le plus simple à mettre en place, surtout dans une équipe nationale truffée de joueurs de “niveau amateur” incapables de percer dans la sphère du professionnalisme pour acquérir de l’expérience de haut niveau. Dare propose un 3-5-2 pointe basse, avec en défense Dzene, Homawoo et Boateng; au milieu : Aholou, Karim, Aziangbe, Evra et Narey et en attaque le duo Kevin- Laba.
Cette disposition est censée densifier la défense centrale et créer le surnombre au milieu du terrain, le but étant de gagner la bataille du milieu en décuplant la capacité de l’équipe à récupérer rapidement et assez haut le ballon (donc loin des buts). Mais ce but n’est pas réalisé, le milieu était une passoire, particulièrement l’axe central, l’organisation de la défense mal structurée et le travail de contre pressing qui devait être orchestré par les deux attaquants s’est révélé peu impactant.
Dans le secteur défensif. A trois défenseurs centraux, les rôles sont répartis en général de la façon suivante : 1 libéro et 2 stoppeurs. Le joueur dans le rôle de libero est responsable de la relance et du bon alignement de la défense pour jouer le hors jeu, il doit donc être réactif et faire preuve d’autorité pour guider la défense. Il doit avoir un grand sens tactique pour faire évoluer la défense. Dans le schéma Dare, c’est Boateng qui est dans ce rôle, de par son positionnement au milieu de la ligne, ce qui paraît un mauvais choix stratégique parce que, contrairement au capitaine Dzene, plutôt glissé à droite, Boateng ne réunit pas toutes les qualités requises, et n’est pas tant à l’aise techniquement. Dans les transitions défensives, il se pose un problème de cadrage du porteur de balle et de gestion des espaces. Quand Dzene serre sur son flanc à la chasse d’un attaquant, l’espace entre lui et les deux autres défenseurs se ferme très lentement, ce qui est dû à la lenteur dans le coulissage de Boateng et de Homawoo.
Les sorties de balles sont très approximatives, renvoyant l’image de séquences peu ou pas travaillées à l’entrainement. La défense est peu efficace dans les duels aériens, mais il faut dire que l’inexpérience du gardien et son manque d’autorité n’ont pas apporté un plus à l’organisation défensive. L’implication défensive des milieux de terrain devrait être travaillée davantage, car sur certaines transitions, Narey et Evra se mélangent les pinceaux, maîtrisant de peu le timing des interventions.
En milieu de terrain, Aholou est seul récupérateur, Karim et Aziangbe positionnés comme relayeurs, Narey et Evra en milieux excentrés (pistons) jouant le rôle de latéraux. Dans une telle disposition, les milieux-latéraux doivent disposer d’un énorme volume physique pour couvrir le terrain dans toute la longueur. Lors des phases défensives, ils doivent rapidement replier, transformant le 3-5-2 en 5-3-2. Narey et Evra se sont montrés plus vifs et brillants dans les assauts offensifs plutôt que dans les tâches défensives, ce qui pose d’ailleurs la problématique de la conception de la tactique en fonction des profils des joueurs disponibles. Au milieu central, la récupération confiée au seul Aholou a montré ses limites par défaut de grande combattivité apportée à son secours par Karim et Aziangbe, et la lenteur dans les replis des milieux-latéraux. Les sorties de balle de la défense sont risquées, parce que les milieux n’apportent pas constamment des solutions de passe aux défenseurs, ce qui a compliqué à ces derniers les transmissions et les relances. Lors des transitions, malgré cinq milieux de terrain, les Eperviers n’arrivent pas à vite fermer les espaces pour rendre difficile à l’adversaire la remontée du terrain, conséquence, ils n’ont pu dominer le milieu de terrain, les libériens percent sans grande difficulté les deux premières lignes pour assaillir la défense qui va multiplier les flottements. Sur les transitions offensives, Aziangbe et Karim ont plus axé le jeu sur les flancs, ce qui a réduit les incursions dans la défense adverse par l’axe, de même que le jeu en profondeur. Une situation qui oblige les deux attaquants, sevrés de balle, à décrocher le plus souvent.
Il y a lieu de constater également, que les Eperviers version Dare manquent un métronome, un leader technique, un créateur capable de sublimer les autres joueurs particulièrement dans le secteur offensif, de mettre régulièrement sur orbite les attaquants, de provoquer des fautes à la lisière de la surface de réparation, un joueur capable de contrôler le rythme de match, de maintenir l’équilibre entre les différentes lignes, bref, une pierre angulaire dans la construction de jeu et dans la gestion des transitions. Dans l’effectif actuel, Karim Dermane a le profil pour tenir ce rôle. Son positionnement actuel l’éloigne des zones sensibles, conséquence, les fautes qu’il occasionne sont éloignées des buts et donc moins dangereuses. Il peut être autrement positionné pour être plus proche des attaquants, et inscrit dans un rôle qui l’oblige à faire moins de touches de balle mais qui le rend plus utile au collectif.
En attaque, l’association Laba-Denkey soulève toujours des questions quant à leur complémentarité et à leur complicité. Qui est l’attaquant de fixation, qui est l’attaquant libre de ses mouvements ? Dans le schéma Dare, les deux semblent jouer côte à côte et les rôles, visiblement, ne sont pas très bien définis. L’on a vu le coach instruire Laba, à la 40e minute, de descendre défendre dans notre défense sur les corners. A la 59e minute, Denkey a suivi Laba dans son décrochage. Sur un corner, il descend après le rond central, entre dans un duel qu’il remporte, avant de balancer la balle loin devant dans l’axe, au moment où son compère d’attaque est resté derrière dans notre défense. C’est une séquence de jeu plus ou moins vilaine. Or, avec deux milieux excentrés et deux milieux relayeurs, les deux attaquants devaient être confinés beaucoup plus dans les rôles offensifs aux fins de garder assez d’énergie pour une finition plus efficace. Kevin et Laba ont brillé par un manque de coordination des mouvements, un défaut de synchronisation dans les déplacements, un manque de connexion. Le nombre de fois que les deux se passent des balles au cours d’un match où ils évoluent en duo est à chercher à la loupe. Même dans l’attitude et le comportement, on ne sent pas un duo solidaire engagé pour la même cause, chacun exploite ses propres individualités, pas au service de l’autre et de l’intérêt collectif, étant donné que chacun veut marquer.
Le travail de contre pressing paraît peu organisé. Et pourtant, le contre-pressing qui consiste à presser l’adversaire sur le champ, dès que le ballon est perdu, est devenu l’une des options les plus puissantes pour les équipes évoluant en 3-5-2 désireuses d’imposer leur rythme à l’adversaire. Il s’exerce avec une pression intense visant à étouffer l’adversaire avant qu’il ne puisse organiser une attaque, ce qui nécessite une coordination parfaite entre les joueurs, une bonne lecture du jeu, ainsi qu’une discipline collective pour couvrir les espaces laissés libres. Avec deux attaquants et cinq milieux, le premier rideau défensif est composé de sept joueurs, mais les Eperviers n’ont pas fortement actionné ce levier de contre pressing, surtout en première partie, pour garder la balle le plus longtemps possible loin de leur but. C’est un ensemble qui doit fonctionner presqu’au même rythme, c’est pourquoi Dare doit exiger de ses Eperviers de relever leur niveau athlétique pour un plus grand investissement physique.
Projet et principes de jeu
A l’issue des 90 minutes du Togo-Libéria, le projet de jeu de Dare n’est pas du tout lisible. On retient qu’il a déployé un 3-5-2, mais quel est le projet de jeu, autrement quelles sont les composantes qui définissent les comportements de l’équipe et des joueurs en fonction des différentes phases du jeu.
« Il est évident que les équipes qui ont du succès ont une vision très claire quand à la manière de jouer. L’élément de base n’est-il pas d’avoir un concept que les joueurs acceptent et avec lequel ils désirent travailler : Comment désirez-vous défendre ? Comment désirez-vous attaquer ? », écrivait Lars Lagerbäck, entraîneur de football suédois.
Sur l’organisation offensive + la transition défensive, sur l’organisation défensive + la transition offensive, que propose concrètement le coach Dare? Dans le contenu, serait-ce un football de possession avec circulation rapide du ballon, serait-ce un modèle de jeu basé sur une solidité défensive avec des transitions offensives rapides faites de courtes ou de longues passes… En tout cas, la copie face au Libéria affiche un jeu décousu, des sorties de balle approximatives, une progression de jeu dominée par la latéralité, des transitions offensives lentes, trop de libertés dans les touches de balle. Dare doit déjà au deuxième match de ce lundi afficher son projet de jeu et ses principes. Au-delà de l’aspect technique, l’état d’esprit : la hargne de vaincre, la concentration intacte jusqu’au coup de sifflet final, l’esprit d’équipe…
Gestion de match
La gestion de match reste une qualité importante d’un entraîneur. Elle met en situation le coach et laisse transparaître ses capacités à lire le jeu, à subir la pression, à gérer un avantage, à bien communiquer avec ses joueurs sur le terrain, à opposer à l’adversaire des contre-plans de jeu. Face au Libéria, on a trouvé un Dare, debout durant les 90 minutes, peu serein, trop communicatif avec les joueurs avec l’enchaînement répété des consignes, ce qui peut avoir le don d’embrouiller les joueurs. Dans la gestion du résultat, Dare aura commis la bourde de sortir aussitôt après son but Kevin Denkey, alors qu’il restait une dizaine de minutes. En marquant ce but d’anthologie, et vu son impact sur la défense, Denkey était devenu plus dangereux et devait mobiliser plus de défenseurs autour de lui. En le sortant, la défense retrouve du souffle et peut envoyer quelques éléments dans les assauts offensifs en vue d’accentuer la pression un peu plus haut dans le camp adverse. Dans telle situation, Dare pouvait basculer le 3-5-2 en un 4-4-2 avec Aholou qui descend d’un cran en défense centrale, ou alors garder le 3-5-2, mais le convertir en un 3-4-1-2, avec 2 milieux récupérateurs et un milieu relayeur, ce qui aurait pu permettre d’enrayer les dangers un peu plus haut et éviter l’envahissement de la défense.
Le Libéria reste le plus faible maillon de notre groupe. Le match nul concédé à domicile peut être regretté en fin de parcours, mais Dare peut se targuer de n’avoir pas enregistré une défaite humiliante à domicile. On peut espérer que l’effectif dont il dispose, et les leçons tirées du Togo-Libéria vont tracer les sillons d’une campagne des éliminatoires réussie pour enfin briser avec le signe indien.
Yves Galley