Isolé sur la scène internationale depuis le lancement de son offensive militaire en Ukraine, Moscou a organisé jeudi et vendredi son deuxième sommet Russie-Afrique. La promesse de livrer gratuitement des céréales restera l’une des annonces les plus marquantes, pas plus que le discours surprenant délivré par le capitaine Ibrahim Traoré, du Burkina Faso, auquel Macky Sall, du Sénégal a tenté de réagir, exposant ainsi à la surface un conflit de générations des dirigeants africains dans la perception de la bonne gouvernance.
Une déclaration commune a été adoptée à l’issue de cette rencontre, prévoyant une coopération accrue dans les domaines de l’approvisionnement alimentaire, l’énergie et l’aide au développement. Elle appelle à « créer un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain », selon le texte publié sur le site du Kremlin. Vladimir Poutine, engagé dans une guerre d’hégémonie contre l’occident, affiche clairement son intention de s’appuyer sur des béquilles africaines pour booster sa puissance et renforcer son invulnérabilité.
Moscou, selon la déclaration commune, va aider les pays africains à « obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales » occidentales, y compris « la restitution des biens culturels » pillés, un défi gargantuesque qui ressemblerait plus à une promesse démagogique aux élans populistes.
La périodicité du sommet Russie-Afrique sera désormais triennale, un « mécanisme de partenariat et de dialogue » sera créé pour les « questions de sécurité », y compris pour la lutte contre le terrorisme, la sécurité alimentaire et le changement climatique.
Sur le plan économique, Vladimir Poutine veut réaliser l’opération fragilisation du dollar grâce à l’Afrique.
« Il est également question de passer systématiquement aux monnaies nationales, y compris le rouble, dans les règlements financiers des transactions commerciales » entre la Russie et l’Afrique, sonne le président russe.
Vient la pique. Et la brouille publique
Les tensions entre dirigeants africains ont éclaté au grand jour, ce vendredi 28 juillet, lorsque le capitaine Ibrahim Traoré, du Burkina Faso, a décidé de « laver son linge sale en famille » lors d’une table ronde réunissant tous les partenaires présents à ce sommet. C’était la première fois que le capitaine Ibrahim Traoré se retrouvait devant une telle assemblée, lui qui dirige un pays suspendu de la Cédéao et de l’Union africaine depuis janvier 2022.
Le président de la transition au Burkina Faso s’est adressé frontalement à la vingtaine de chefs d’État et de gouvernement réunis autour de Vladimir Poutine : « Je m’en vais m’excuser auprès des anciens que je pourrais vexer dans mes propos à venir. Les questions que nos générations se posent sont les suivantes : il s’agit de comprendre comment, avec tant de richesses sur notre sol, l’Afrique est aujourd’hui le continent le plus pauvre. Et comment se fait-il que nos chefs d’État traversent le monde à mendier ? Il faut que nous, chefs d’État africains, arrêtions de nous comporter en marionnettes qui dansent à chaque fois que les impérialistes tirent sur les ficelles. »
Des propos que le président sénégalais n’a pas laissé passer. Macky Sall a répondu au capitaine Traoré, dès le début de son intervention : « Pour répondre à notre jeune frère, notre cadet : les chefs d’État ne sont pas venus ici pour mendier. Nous n’allons pas ailleurs pour tendre la main. Nous travaillons pour un partenariat d’égale dignité entre les peuples. C’est le même discours qu’on tient à Dakar, ici à Saint-Pétersbourg, ou à Washington. Et ce combat transcende les générations. » Cette réplique n’enlève à la cinglante pique du jeune capitaine sa pertinence et son caractère rationnel. Elle a le mérite de mettre les mots sur les maux dont souffre l’Afrique dans sa gouvernance globale et de mettre à nu l’inconscience de certains chefs d’Etat qui ne versent sang et sueur que pour leurs intérêts personnels et la conservation de leur pouvoir ad vitam aeternam (pour toujours) au détriment du bien-être des populations.
On a pu remarquer que Macky Sall a été profondément embarrassé, choqué et terrassé par l’audace et le défaut de diplomatie dans le discours du jeune capitaine. De tels discours dans les grandes arènes politiques comme le sommet Russie-Afrique doivent être régulièrement dits et martelés, ils auront le don de sonner la révolte et de provoquer un changement de mentalité en faveur du développement de l’Afrique. Sinon comment comprendre que devant la Russie, un pays, qu’il soit le plus grand au monde de par sa superfice (17 125 191 km²), toute l’Afrique vienne se prosterner, qui pour des céréales, qui pour des armes, qui pour de l’énergie…
Des décennies après les indépendances, l’Afrique est incapable de s’assurer ne serait-ce que sa sécurité alimentaire. Une honte, que les questionnements du capitaine Traoré justifient à plus d’un titre.
Ce dernier, toujours en treillis dans ses apparitions publiques, était à la droite de Vladimir Poutine sur la photo officielle. Sa présence aurait chassé les présidents du Sénégal, du Congo et de la Guinée-Bissau qui ont préféré boycotter la photo officielle. Depuis, le capitaine Traoré est devenu la coqueluche des réseaux sociaux, vivement célébré.