La France et toute l’Europe, voire au-delà, retiennent leur souffle quant à l’issue du second tour des Législatives prévu pour le dimanche prochain. Le spectre de voir naître un gouvernement d’extrême droite (Rassemblement national, RN) n’est plus vraiment de la politique-fiction dans l’hexagone. Dans son programme, le parti de Marine Le Pen fait du contrôle de l’immigration une priorité. Comme tout français issu de l’immigration, le franco-togolais Erick Matchame exprime des craintes quant à la libéralisation de la parole raciste et la banalisation de comportements racistes et discriminatoires.
En glissant son bulletin dans les urnes le 30 juin 2024, Erick Matchame a fait le choix qui le protège contre l’ouragan RN, mais les résultats au premier tour vont le décevoir et alimenter ses phobies. Déjà le jour du vote, Erick confie avoir senti une atmosphère pesante autour de sa personne alors qu’il tenait sa place dans une queue “blanche” devant son bureau de vote.
“Aujourd’hui dans la file d’attente, sur 50 à 60 personnes, j’étais le seul black. C’était bizarre… Je sentais tous les regards sur moi”, raconte-t-il. “En ce moment sensible des élections législatives anticipées, ajoute-t-il, nous vivons un moment très compliqué et je suis triste pour cette France.”
Tout comme Erick, bien d’autres français, issus de l’immigration, sont tristes et angoissés à l’idée d’une prise du pouvoir de l’extrême droite à l’idéologie infernale.
« Mon prénom et mon nom de famille ont une consonance arabe, et je constate que, depuis la dissolution, la parole se libère… Des réflexions me sont directement adressées, comme : “Fais attention, ce n’est pas halal” ; “Ta maman sait cuisiner autre chose que du couscous ?” ; “Ah, tu bois de l’alcool ?” », expose au journal La Croix, Imen, Franco-Marocaine de 30 ans née en Auvergne et immigrée de la troisième génération. Jusqu’ici, elle se sentait parfaitement intégrée dans la société française, jamais elle ne s’était sentie renvoyée à sa condition de personne issue de l’immigration.
Mirna Safi, professeure de sociologie à Sciences Po, rappelle que d’ores et déjà, il existe ” une persistance de discriminations très importantes“, malgré une mixité forte dans les relations interpersonnelles.
” Par exemple, pour obtenir une réponse à une offre d’emploi, un candidat avec un nom à consonance arabe doit envoyer 30 % de CV de plus qu’un candidat avec un nom à consonance française. Et c’est à peu près pareil sur le marché du logement locatif. Aujourd’hui, la loi interdit ce genre de discriminations. Mais imaginons ce que cela peut devenir dans un contexte où il deviendrait acceptable, voire louable de stigmatiser l’étranger”, redoute Mirna Safi.
Selon les résultats définitifs fournis par le ministère de l’Intérieur, le Rassemblement national, allié à Eric Ciotti, président des Républicains, arrive en tête avec 33,1 % des voix, suivi par le Nouveau Front populaire (28 %), et la coalition présidentielle (20 %). De quoi ouvrir la perspective d’une captation du pouvoir par le RN en cas d’une majorité absolue fixée à 289 sièges.
Mais le franco-togolais Erick Matchame, bien installé en France depuis 1999, est optimiste et ne croit pas au succès escompté du RN.
“Non, le RN ne sera pas au pouvoir, car je suis confiant que la majorité absolue des 289 sièges à l’assemblée nationale ne sera pas atteinte, moins encore la majorité relative de 260 sièges. Ainsi, il faudrait des coalitions à l’assemblée nationale. Or nul ne fera de coalition avec le RN. Cependant dans la coalition du nouveau Front populaire et des Centristes en passant par le LR, la majorité absolue sera acquise. Ce n’est que mon analyse”, projette Erick.
Une analyse corroborée par les dernières tendances dans les différents sondages.
D’après un sondage exclusif Ifop pour LCI le 2 juillet, une majorité de Français ne souhaite pas que le RN bénéficie d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Selon un autre sondage, Ipsos-Talan réalisé les 3 et 4 juillet auprès de plus de 10 000 électeurs pour Le Monde, France Télévisions et Radio France, le Rassemblement National et ses alliés remporteraient 170 à 205 sièges de la nouvelle Assemblée nationale, suivi du Nouveau Front Populaire avec 145 à 175 sièges et Ensemble avec 118 à 148 sièges. En clair, le RN s’éloignerait un peu plus d’une majorité absolue
Les dernières élections européennes ont montré que l’extrême droite, surfant sur la peur de l’immigration, est en force dans les pays fondateurs de l’UE. En France, le RN est le grand gagnant du scrutin, tout comme, en Italie, Fratelli d’Italia, le parti postfasciste de la présidente du conseil, Giorgia Meloni, et, en Belgique, le Vlaams Belang. En Allemagne et aux Pays-Bas, l’AfD et le PVV de Geert Wilders pointent à la deuxième position.
L’Assemblée nationale française va-t-elle battre pavillon extrême droite au soir du 7 juillet 2024?
Yves Galley