les deux auteurs

Les usages inappropriés des réseaux sociaux par les jeunes en milieu scolaire au Togo: quelle part de l’éducation aux médias et à l’information ?

Une étude menée par Napo Mouncaïla GNANE (Enseignant chercheur Université de Lomé – Togo),et Mazalo TIADEMA (Sociologue). Publié par le bimensuel LA SYMPHONIE dans sa livraison du 28 février 2022. Texte original publié dans la Revue semestrielle de philosophie, littérature et sciences humaines, N° 017 décembre 2021

Au regard de l’intérêt croissant des jeunes pour les TIC, notamment le téléphone portable et les différents applications et médias sociaux auxquels il donne accès, cet article s’intéresse à la place accordée à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans le système éducatif togolais, et l’usage que les élèves font de ces outils numériques. A partir d’une approche combinant une enquête par questionnaire et des entretiens semi-directifs, des données primaires ont été recueillies auprès des élèves, enseignants, censeurs/surveillants, chefs d’établissements, parents d’élèves et auprès des personnes ressources impliquées dans la gestion du système éducatif togolais pour compléter les données secondaires issues de la documentation. Les résultats obtenus, révèlent que l’EMI n’existe pas de façon formelle dans les programmes d’enseignement au Togo. En outre, les élèves font parfois un usage inapproprié de ces outils numériques de la communication, ce qui les expose à des dangers. Aussi, des défis d’ordre institutionnel, pédagogique, législatif, réglementaire et logistique sont à relever pour rendre effective l’EMI dans les écoles au Togo.

Introduction

L’engouement que les jeunes ont pour les différentes fonctionnalités et services auxquels donnent accès les technologies numériques de l’information et de la communication sur le continent africain n’est plus aujourd’hui à démontrer. Et effet, selon L. Corroy et G. A. Yanon (2019) une proportion importante de jeunes de moins de vingt-cinq ans, désire de pouvoir être connectée aisément en Afrique. Le GSMA1, relève par ailleurs, qu’à la fin de 2018, il y avait 185 millions d’abonnés mobiles uniques en Afrique de l’Ouest, soit une augmentation de près de 10 millions par rapport à 2017 ; d’ici 2025, le nombre d’abonnés uniques atteindra 248 millions, augmentant le taux de pénétration des abonnés jusqu’à 54%, contre 48% à la fin de 2018. Plus de 40% de la population de la sous-région a moins de 18 ans et une proportion considérable d’entre eux deviendra de jeunes adultes au cours de la prochaine décennie. La croissance future dans le secteur sera en grande partie poussée par les jeunes consommateurs possédant pour la première fois un téléphone portable. Ceci entrainera un changement important dans les comportements des consommateurs dont les usages seront plus centrés sur les services de données, comme les jeux en ligne et le streaming de vidéos (GSMA, 2019).


C’est dire que les jeunes en Afrique et au Togo en particulier, où 1,71 million de personnes étaient connectées à internet en janvier 2020 avec 650 000 d’abonnés actifs sur les réseaux sociaux (We Are Social), sont de plus en plus connectés à Internet grâce à la téléphonie mobile et ont accès à tous les services et fonctionnalités qui y sont associés. A Lomé par exemple, il est fréquent de voir de très nombreux jeunes lycéens et collégiens dans les lieux de connexion à Wifi gratuit ou payant, dans les rues, voire à l’école, accrochés à leur téléphone portable connecté. Ils se montrent plus enthousiastes à utiliser les applications de messagerie, les médias et réseaux sociaux numériques notamment Facebook et WhatsApp (C. A. A. Kouawo, 2017 ; Y. Tchadjobo, 2019 ; M. Tiadema, 2020).


A travers ces outils connectés, ces jeunes se mettent en scène (la recherche de la popularité en comptabilisant le nombre d’amis sur les réseaux sociaux ou le nombre de commentaires informant sur l’audience d’un blog produit de véritables stratégies de mise en scène de soi), s’informent, communiquent, partagent et acquièrent des connaissances. Utilisées adéquatement, ces technologies peuvent être source de motivation, d’acquisition du savoir. Elles peuvent favoriser l’entraide et la socialisation des jeunes. D’autres exemples en rapport avec la problématique de « l’éducation par les médias et Internet » laissent entrevoir tous les avantages liés à l’accès aux TIC par les jeunes (C. Matuszak, 2010 ; G. Sahut, 2014 ; A. Kiyindou, K. Anate et A. Capo-Chichi, 2015; A. Kiyindou, F. Barbbey et L. Corroy-Labardens, 2015 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020).

Ces TIC et les plateformes d’interaction et de réseautage auxquelles ils donnent accès présentent aussi des dangers pour les jeunes. Très souvent, l’usage que font les jeunes de ces technologies n’est pas forcément à des fins éducatives, mais relève beaucoup plus du divertissement (films, musique, jeux…), avec des effets pervers sur leur scolarité et leur comportement en société. Le développement des technologies médiatiques numériques a favorisé ou accentué la diffusion de fausses informations et de propos diffamatoires ; la cyber pédopornographie, l’accès à du matériel moralement sensible… (N. Landry, 2013; M. Raboy et J. Shtern, 2010 ; M. A. Bamaré, 2014 ; N. Landry et J. Basque, 2015 ; V. Hébert, 2020 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020).


Au regard de ces dangers que peuvent représenter certains usages des TIC pour les jeunes, l’utilisation du téléphone portable au sein des établissements scolaires a été interdite au Togo depuis le 1er janvier 20193. Mais, malgré cela, en juillet 2020, des élèves du secondaire de certains établissements publics et privés de la ville de Lomé se sont mis en scène sur les réseaux sociaux à travers des images pornographiques tournées au sein même des salles de classe et montées grâce à un logiciel de montage vidéo (Lomotif). Tel un concours du meilleur établissement en « sextape », ces élèves se sont illustrés à ce qui ressemble à des pratiques de dépravation des mœurs. Le ministre Atcha Dédji Affoh chargé des enseignements primaire et secondaire d’alors a déclaré à cet effet : « Ce que nous avons constaté, c’est comme s’il y avait une concurrence entre les établissements pour voir l’établissement le plus pervers. Certains élèves l’ont fait de façon inconsciente, mais d’autres savaient bien ce qu’ils faisaient. »4. Ces faits ont eu des conséquences sur la vie des contrevenants notamment l’exclusion des établissements scolaires pour certains et conformément à l’article 139 du nouveau Code pénal, des condamnations à des peines allant de 12 à 18 mois de prison avec sursis pour d’autres.


En février 2020, des vidéos avaient fait le « buzz » sur la toile à l’occasion de la fête de la « Saint-Valentin ». En effet, un jeune homme accompagné d’un groupe de musiciens, était allé non loin de l’école de sa « dulcinée », lui offrir des présents (bouquet de fleurs, argent, boissons …). Cette jeune élève du secondaire était alors sortie de l’école et est allée à la rencontre de son petit-ami, échangeant des baisers au vu et au su de ses camarades d’école et des passants. Ce qui fait la particularité de ce fait, c’est qu’il a été filmé et diffusé par les concernés sur les réseaux sociaux. Les réactions étaient mitigées dans l’opinion, mais la jeune fille concernée avait été exclue de son école pour non-respect du règlement intérieur.

Ces événements remettent à jour la question du rôle de l’école, ce lieu d’accès à la culture et à la formation, qui se doit donc de fournir à la jeune génération des connaissances et compétences dans le domaine du numérique (C. A.A. Kouawo, 2017. UNESCO, 2011 ; F. Barbbey, 2015 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020). Ils soulèvent en outre, la nécessité d’éduquer les citoyens, dès le plus jeune âge, aux risques et aux bénéfices des environnements numériques (J. Palfrey, 2008 ; J. Hartley, 2010).

Pour notre part, nous souhaitons partir des interrogations suivantes : Quelles sont les dispositions pédagogiques, pratiques et institutionnelles prises par l’Etat togolais en matière d’Education aux Médias et à l’Information (EMI) en faveur des élèves ? Quels usages font ces élèves des médias et réseaux sociaux ?
A partir de ces questions, notre démarche part de l’hypothèse suivant laquelle, l’EMI n’est pas formalisée dans les programmes d’enseignement au Togo, ce qui expose davantage les élèves à un mauvais usage des médias et réseaux sociaux, avec des conséquences parfois négatives envisageables sur leur scolarité et leur comportement.
Il s’agit à travers cet article, de déterminer et d’analyser la place actuelle de l’EMI dans les programmes éducatifs du secondaire au Togo, ainsi que ses retombées sur les élèves en termes d’usage des médias sociaux.

Ainsi, nous tenterons après avoir précisé les cadres théorique et méthodologique de notre démarche, de dresser un état des lieux des dispositions et mesures pédagogiques prises par l’Etat et ses partenaires pour assurer l’EMI dans le système éducatif du secondaire au Togo. Pour finir, nous essayerons de relever les pratiques et usages des élèves du secondaire face aux médias et réseaux sociaux.

  1. Cadre de référence théorique

Le positionnement théorique de notre démarche s’inspire d’une part de la théorie fonctionnaliste de l’école de E. Durkheim et des travaux mettant l’accent sur la nécessité de l’éducation aux médias par l’école ; d’autre part, elle s’appuie sur la théorie du déterminisme technologique et des approches des usages des TIC.
L’approche fonctionnaliste de l’école comme institution de socialisation d’E. Durkheim (1922) considère le « système scolaire », comme sous-système social, dont la fonction principale est de réaliser une socialisation méthodique des jeunes générations. Elle assure la transmission des savoirs, et de valeurs sociales, et constitue le vecteur des valeurs de la modernité tout en favorisant le changement. Cette théorie associée aux nombreuses analyses (N. Landry, 2013 ; N. Landry et J. Basque, 2015 ; J. Piette ,2001 ; UNESCO, 2011 ; L. Corroy, 2016 ; L. Corroy et G. A. Yanon, 2019 ; F. Barbey, 2015 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020),) qui insistent sur l’utilité de l’éducation à un usage réfléchi des médias et du numérique à partir de l’école, constituent un repère dans notre démarche d’analyse de la place de l’EMI dans les programmes scolaires des cycles secondaires au Togo.


Les tenants du déterminisme technologique (M. McLuhan et Q. Fiore, 1967; H. H. C.-H Besseyre et H. ISAAC, 2006 ; A.-M. Salem, 2009…) soutiennent en substance que l’introduction d’une nouvelle technologie dans une société, provoque des transformations à même d’engendrer le changement social. Ce cadre d’analyse nous permet d’appréhender les changements induits par l’usage du téléphone portable par les élèves sur leurs rapports avec les autres et aussi sur leur cadre d’apprentissage et de vie. En faisant aussi recours aux modèles de la sociologie des usages (J. Jouet, 2000 ; P. Chambat, 1994 ; S. Proulx, 2001) selon lesquels, les utilisateurs d’une technologie ont généralement des réactions multiples, diverses et créatrices face aux offres technologiques qui leur sont faites, il s’agit de cerner, selon les termes de J. Perriault (1992) les pratiques déviantes et les détournements que développent les élèves face aux nouvelles technologies et qui sont susceptibles de générer pour eux, des conséquences parfois néfastes.

  1. Approche méthodologique

L’univers de notre étude est l’école et certaines de ses composantes. Nous avons ainsi ciblé six collèges et lycées publics et privés des cycles secondaires dans lesquels les élèves se sont mis en scène sur les réseaux sociaux à travers des images pornographiques (sextape) en 2020. Ce cadre constitue un terrain idéal pour identifier les pratiques et usages des élèves en matière de médias numériques. Il s’agit du Lycée moderne d’Adidogomé 1 ; du Collège Notre Dame des Apôtres (NDA) ; de l’Institut scolaire Notre Dame de l’Eglise (ISNDE), du Lycée 2 février d’Agbalépédogan, du Lycée Aflao Sagbado et du collège d’enseignement général (CEG) Nyékonakpoè.

Pour collecter les données primaires afin de compléter les informations de seconde main obtenues à partir de la documentation exploitée, nous avons ciblé par le truchement d’une enquête par questionnaire dans ces établissements, 60 élèves à raison de 10 élèves en moyenne par établissement scolaire. Il s’agit en particulier des élèves en classes de troisième et de terminal.


Usant de la technique d’entretien semi-directif, nous avons également enquêté dans les six établissements ciblés, des enseignants (ceux qui interviennent dans les cours de français et d’éducation civique et morale6), des censeurs ou surveillants, des chefs d’établissement et des parents d’élèves.
Nous avons aussi interviewé dans le cadre des entretiens semi-directifs, des personnes ressources du Ministère des Enseignements Primaire, Secondaire, Technique et de l’Artisanat (MEPSTA), des partenaires techniques et financiers du MEPSTA, une organisation de la société civile intervenant dans le domaine de l’éducation et un enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’aide de guides d’entretiens.

Le tableau ci-dessous récapitule l’ensemble des cibles concernées par la collecte des données primaires.

Source : Auteurs de l’article

Le lycée d’Aflao Sagbado ne dispose pas encore de classe de terminale. C’est pour cette raison que nous avons retenu 5 élèves en classe de première. Et pour combler ce manque de 5 élèves (puisque que le principe retenu est de cibler 10 élèves par établissement scolaire), nous avons retenu 15 élèves au Lycée du 2 février où les enquêtes étaient plus disponibles.

Nos choix en termes de taille d’échantillon ont surtout été dictés par les contraintes liées au Coronavirus7 qui ont rendu difficiles l’accès aux écoles et la rencontre des groupes cibles. Ainsi, nous avons eu un échantillon de cent-deux (102) personnes pour les deux approches quantitative et qualitative.
Si les données quantitatives ont fait l’objet d’une analyse statistique à partir de logiciel Sphinx, les contenus des entretiens semi-directifs ont été synthétisés afin d’en dégager des idées phares suivant les thématiques discutées.

  1. Résultats et discussion
    3.1. Place de l’EMI dans le système scolaire togolais

De nombreuses initiatives ont été prises et mises en œuvre ces dernières années en matière d’intégration des TIC dans le domaine de l’éducation au Togo à l’instar du projet « Environnement Numérique de Travail (ENT) » lancé en juillet 2018 et qui vise à déployer des TIC dans les établissements scolaires pour adapter la formation aux besoins économiques et sociaux du pays. Les discours politiques martèlent une volonté du gouvernement de révolutionner la formation à partir des TIC, mais dans les faits cette volonté tarde à se matérialiser et l’ensemble des initiatives annoncées reste un catalogue de bonnes intentions sans application réelle sur le terrain.

En ce qui concerne l’éducation aux médias et à l’information au niveau des cycles secondaires de l’enseignement, et même aux niveaux primaire et universitaire, notre analyse relève que sur le plan institutionnel, il n’existe aucune structure qui y est dédiée, comme c’est le cas par exemple en France avec le centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI). Il n’existe pas encore une politique formellement définie et mise en œuvre en matière d’intégration des TIC et de l’EMI dans les établissements scolaires.

Le cadre législatif et réglementaire est quasi inexistant sur les questions de TIC et de l’EMI mis à part la mesure interdisant le téléphone portable dans les écoles depuis janvier 2019 et dont la mise en œuvre pose d’énormes difficultés aux encadreurs. Le chargé de programme au ministère en charge des enseignements reconnait à demi-mot cet état de fait lorsqu’il dit: « quand on veut qu’une pratique soit légiférée, il faut prendre un texte clair, non ambigu, ce qui va amener tout le monde à l’appliquer » (Entretien individuel, 2020).

Sur le plan pédagogique, le matériel nécessaire (salles équipées et connectées, supports pédagogiques…) n’existe pas et les enseignants ne sont pas formés pour prendre en compte cette problématique de l’EMI. Un des enseignants interviewés dit à ce sujet : «il faut des infrastructures adéquates, on ne peut pas installer du matériel informatique dans une école en hangar et sans énergie électrique » (Entretien individuel, 2020).


La notion de l’EMI elle-même n’est connue ni des élèves ni des enseignants qui n’ont d’ailleurs pas toutes les compétences requises sur la question pour former de façon adéquate les élèves. Les résultats issus de l’enquête réalisée dans le cadre de cette analyse montre en effet que la totalité (100%) des élèves questionnés n’ont jamais entendu parler de l’éducation aux médias et à l’information.

Mais il faut noter qu’avec la dernière révision des curricula au Togo en 2012 et avec l’introduction de l’approche par compétences (APC) depuis 2018, de nouveaux thèmes sont introduits dans certains enseignements. Durant les cours concernés, les élèves échangent avec leurs enseignants sur des sujets tels que « information et mass-médias », « les moyens de communication », « la civilisation de notre temps », « art et médias » etc. C’est ce que confirment d’ailleurs les élèves enquêtes qui affirment avoir abordé ces thématiques avec leurs enseignants durant les cours d’éducation civique et morale (94,7%) et de français (45,6%). Toutefois, le temps consacré à l’étude de ces thèmes en rapport avec certains aspects de l’EMI est insuffisant (en 2 ou 3 séances) pour les étudier en profondeur.

D’ailleurs, les objectifs poursuivis le plus souvent à travers ces cours, sont entre autres de montrer aux élèves l’importance de la communication, le rôle des mass-médias dans la société et de cultiver chez ceux-ci des comportements civiques et citoyens. Or, l’EMI va au-delà de ces aspects avec parfois le décryptage de l’information médiatique tout en prenant en compte les nouvelles problématiques liées au numérique, notamment les fausses nouvelles, la protection des données personnelles, lefact checking… avec un accent particulier sur la démonstration et la pratique. Le chargé de programme au ministère des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat (MEPSTA), reconnait aussi cet état de fait à travers ces propos : « Par rapport aux curricula, ce qui se fait en matière d’EMI, c’est juste une information, ce n’est pas un enseignement qui permet d’y gagner » (Entretien individuel, 2020). Abondant dans le même sens, un chercheur en science de l’éducation affirme : « dans les programmes de formation des écoles que ce soit au primaire, au collège et au lycée, il n’y a pas de cours d’éducation aux médias en tant que tel. Les élèves peuvent discuter ou échanger avec les enseignants dans d’autres cours par exemple en français, mais il n’y a pas de cours à proprement parler qui se consacre à l’éducation aux médias » (Entretien individuel, 2020).

Sur cet aspect des contenus pédagogiques en rapport avec l’EMI au Togo, une autre étude réalisée par L. Cooroy et G. A. Yanon, (2019) et portant sur les programmes du secondaire, de la classe de 6eme à la terminale dans cinq pays de l’Afrique de l’Ouest francophone (Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal et Togo) établit que le Togo est sans doute le curriculum le moins développé concernant l’éducation aux médias. L’éducation civique et morale fait cependant référence aux médias à partir de la classe de 3eme, dans la thématique « démocratie et paix », qui analyse le rôle des médias dans une démocratie. Il s’agit d’un enseignement qui vise à ce que l’élève soit capable d’adopter une « approche critique et de discernement par rapport aux médias et aux modes de fonctionnement des institutions de la république ». Cet enseignement doit l’aider à combattre les préjugés sexistes, ethniques, racistes ou religieux « susceptibles d’engendrer des conflits identitaires de masse ».

En classe de seconde, première et terminale, l’étude relève qu’au sein du thème « démocratie, genre et développement », le rôle et les caractéristiques des médias en démocratie, leur fonctionnement, les « dérapages médiatiques » doivent être présentés. Des exercices pratiques d’analyse d’articles de presse, de commentaires d’émissions et de prises de parole dans les médias de personnalités publiques, d’exposés et de débats sont préconisés (L. Cooroy et G. A. Yanon, 2019).


A part ces programmes éducatifs initiés par l’État en matière d’éducation aux médias, on note aussi quelques initiatives des organisations de la société civile. Il s’agit par exemple, du projet « Deviwo Be Radio8 » de l’ONG Plan International Togo comme le notent aussi Kounakou K. et al. ( 2015 ). Quelques actions de sensibilisation sur le décryptage des messages médiatiques notamment les feuilletons, sont occasionnellement menées par la Coalition Nationale Togolaise pour l’Education pour Tous (CNT/EPT). Des initiatives ont été aussi entreprises dans le cadre d’un projet sous l’égide de l’UNESCO et a permis la formation de 321 formateurs à la scénarisation et à la mise en ligne des cours, la création de plateformes de formation en ligne ; la dotation d’équipements informatiques aux centres de formation des formateurs pour favoriser la maîtrise de l’outil informatique par les enseignants.

Au final, il ressort comme le notent aussi K. Kounakou et al. (2015) que l’éducation aux médias n’est pas encore véritablement prise en compte par les programmes éducatifs au Togo. Bien que le secteur de l’industrie médiatique commence à se développer, le Togo n’a pas de stratégies innovantes et clairement formalisées pour accompagner les jeunes enfants utilisateurs.

3.2. Usages inappropriés des TIC et des médias sociaux par les élèves

Les jeunes se montrent de plus en plus enthousiastes à utiliser les applications de messagerie instantanée, les médias et réseaux sociaux numériques à partir des smartphones, tablettes et ordinateurs (M. Duggan et A. Smith, 2013 ; C. A. A. Kouawo, 2017 ; Corroy et G. A. Yanon, 2019). Cette réalité se reflète sur les résultats de notre enquête qui montrent que 71,7% des élèves enquêtes utilisent les smartphones. Par ailleurs, 57% de ces apprenants enquêtes s’intéressent plus à l’application de messagerie WhatsApp, 16% utilisent le réseau social Facebook et 12% s’intéresse à YouTube.

Cet attrait des jeunes pour les TIC n’est pas une spécificité togolaise. En effet, selon une étude britannique menée en 20179 plus de 90% des jeunes âgés entre 14 et 24 ans ont un compte sur au moins un des réseaux sociaux suivant : Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat ou YouTube. Une autre étude menée par Diplomeo 10 montre que 97% de jeunes français utilisent un smartphone pour avoir accès à Instagram (82%), Snapchat (74%) ou encore Facebook (54%).


Alors qu’il est établi par la sociologie des usages (J. Jouet, 2000 ; P. Chambat, 1994 ; S. Proulx, 2001 ; J. Perrault, 1992) que les utilisateurs d’une technologie ont généralement des réactions multiples impliquant les

pratiques déviantes et des détournements, il se pose légitiment l’inquiétude des risques qu’encourent ces jeunes à travers l’usage de ces technologies de la communication, qui justement, les exposeraient à la diffusion de fausses informations, la cyber pédopornographie… (N. Landry, 2013; M. Raboy et J. Shtern, 2010; M. A. Bamaré, 2014 ; N. Landry et J. Basque, 2015 ; V. Hébert, 2020 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020).
Face à ces risques, le rôle de l’école en tant qu’institution qui assure la transmission des savoirs et des valeurs sociales (E. Durkheim, 1922) est alors interpelé pour assurer aux jeunes générations une éducation à des usages beaucoup plus utiles et réfléchis de ces technologies qui occupent désormais une place importante dans leur vie (N. Landry, 2013 ; N. Landry et J. Basque, 2015 ; J. Piette ,2001 ; UNESCO, 2011 ; L. Corroy, 2016 ; L. Corroy et G. A. Yanon, 2019 ; F. Barbey, 2015 ; A. Apedjinou et C. A. A. Kouawo, 2020).

Notre analyse ayant établi l’absence d’un programme structuré d’éducation pour un usage utile et réfléchi de ces outils, on se demande ce que font les élèves de ceux-ci et quels sont les dangers auxquels ils s’exposent ?

De l’analyse des résultats de l’enquête que nous avons réalisée, il ressort que 50% des élèves passent en moyenne une à quatre heures de temps par jour sur les médias et réseaux sociaux, 48% consacrent 5 heures et plus par jour à ces outils. Ainsi, les TIC font partie intégrante du quotidien de ces élèves à telle enseigne qu’ils semblent ne plus pouvoir s’en passer, même pendant les heures de cours à l’école. Leurs encadreurs à l’école sont confrontés à d’énormes difficultés pour leur transmettre les enseignements. Les propos d’un professeur de philosophie au lycée moderne d’Adidogomé 1, l’illustrent si bien : « En plein cours, ils mettent la main sous le banc ou baissent la tête pour répondre aux SMS ou recevoir des appels. C’est devenu un autre souci pour le professeur, il doit réussir à les discipliner avant de pouvoir passer son cours » (Entretien individuel, 2020).

Tout comme à l’école, à la maison, les parents se plaignent. Les enfants n’ont plus de temps pour d’autres tâches si ce n’est le portable. Ils passent la majorité de leur temps à manipuler cet outil. Un parent d’élève de l’institut scolaire Notre Dame de l’Eglise dit à cet effet : « Quand l’enfant a l’Android (téléphone), il oublie le temps qui passe, difficile de s’en défaire. Ça emballe trop les gens, pas question d’âge. Que dire des enfants si nous-mêmes les adultes nous tombons dans ce piège ? » (Entretien individuel, 2020).

Cette situation n’est pas sans effets sur leurs résultats scolaires. Et justement, les résultats d’une étude canadienne publiée par « Statistique Canada »n font la démonstration que les expériences négatives des médias sociaux sont associées à leur intensité d’utilisation.

Un enseignant du cours de français au CEG Nyékonakpoè fait état du fait que les copies de devoirs et d’examens des élèves sont pleines de fautes de grammaire et d’orthographe en ces termes : « Ils écrivent les sons à la place des mots. Ils ont même fabriqué leurs propres mots » (Entretien individuel, 2020). En plus, la dépendance au téléphone portable fait qu’ils s’endorment tard dans la nuit et n’ont donc pas assez de temps pour réviser les leçons et pour se reposer comme le reconnaissent des parents et responsables d’établissement interviewés. En effet, l’étude canadienne12 citée plus haut montre que 4% à 36% des moins de 30 ans ont affirmé avoir de la difficulté à se concentrer en raison des médias sociaux. Les élèves togolais s’exposent également à ces mêmes risques au regard des usages qu’ils font des médias sociaux.

Un autre aspect que relève notre étude est que les élèves enquêtes font davantage un usage ludique des outils numériques de communication. On note que 48,2% des élèves font très souvent recours à ces médias pour se distraire (écouter de la musique par exemple). Seulement 19,6% les utilisent très souvent pour faire des recherches en rapport avec leurs cours. Ces usages ludiques sont aussi observables dans les salles de classe comme le témoignent certains encadreurs rencontrés dans le cadre de l’enquête. « Aux heures libres, vous les verrez, écouteurs dans les oreilles. C’est rare de les voir chercher la signification d’un mot par exemple, peu d’entre eux en font un bon usage » (Entretien individuel, 2020 : professeur de français au CEG Nyékonakpoè).

Les résultats de l’étude réalisée par Diplomeo13 auprès des jeunes français vont aussi dans le même sens en révélant que 85% des personnes interrogées utilisent les réseaux sociaux à des fins ludiques. Cet aspect de l’usage des outils numériques de la communication que font les jeunes apprenants a été également soulevé par M. A. Bamaré (2014) dans son étude sur l’influence des technologies de l’information et de la communication sur l’éducation formelle des élèves des établissements secondaires publics de Ndjamena (Tchad). Il fait état du fait que les jeunes se laissent captiver parle côté ludique de la toile, ils sont à la recherche des loisirs avec des risques de se confronter à d’autres dangers avérés, négligeant les vastes ressources documentaires que regorge le Web. C’est aussi dans ce sens que va le constat de J-C. Rondeau (cité par A. F. Nanga (2010, p. 36) lorsqu’il rend compte du fait que les jeunes sont plongés plusieurs heures par jour dans un univers d’images souvent très violentes, et rarement éducatives quiles transforment graduellement en consommateurs passifs de sensations, d’images et de sons.

Même si les élèves enquêtes sont conscients que les réseaux sociaux les exposent aux fausses informations (90%), aux images violentes et pornographiques (71,70%) ils ne sont pas à l’abri d’autres dangers au-delà du caractère parfois futile de l’usage ludique qu’ils en font. Les sextape tournées par des élèves de certains établissements scolaires de la ville de Lomé en début d’année 2020 restent un poignant témoignage des dérives en termes de comportements sexuels auxquels peuvent conduire un mauvais usage des réseaux sociaux par ces jeunes. Un enseignant de philosophie au lycée moderne d’Adidogomé 1 dit à cet effet : « Nos élèves deviennent de plus en plus pervers » (Entretien individuel, 2020). Allant dans le même sens, un autre enseignant au CEG Nyékonakpoè ajoute : « Certains enfants font un usage inapproprié de ces outils pare suivisme. Ils se disent que les autres vont se moquer d’eux s’ils ne font pas comme eux » (Entretien individuel, 2020).

Les conséquences du mauvais usage des réseaux et autres plateformes médiatiques d’interaction auxquels s’exposent les plus jeunes, sont non seulement liées à la sexualité précoce, mais aussi impliquent les grossesses précoces et parfois même la consommation de la drogue. Les propos d’un censeur sont édifiants sur ce dernier aspect : « Ici (parlant de son école), nous avons un problème de consommation de drogue par les élèves. Le groupe concerné par ce problème de drogue, est le même qui a tourné les sextape qui ont circulé sur la toile en début d’année 2020 » (Entretien individuel, 2020).

Sur un autre registre, l’étude rendue publique par « Statistique Canada »14 montre que les réseaux sociaux ont un impact négatif dans le quotidien de nombreux Canadiens et qu’ils affectent particulièrement les jeunes qui manifestent des troubles émotionnels accrus, comme un sentiment d’anxiété, de déprime, de frustration ou de colère. Certains répondants ont également affirmé ressentir un sentiment d’envie face à la vie des autres. Selon une autre étude britannique menée en 2017 par la Royal Society for Public Health (RSPH)15, les taux d’insomnie et de troubles de santé mentale tels que la dépression et l’anxiété chez les jeunes ont augmenté d’environ 70% dans les 25 dernières années.

C’est dire que les jeunes élèves au Togo sont également exposés à ces différents dangers du fait de l’utilisation inappropriée des outils numériques de la communication, notamment les réseaux sociaux sur lesquels ils sont plutôt actifs. Il faut néanmoins préciser que ces comportements déviants des adolescents ne sont pas entièrement imputables au mauvais usage des TIC. D’autres facteurs y concourent aussi, notamment le disfonctionnement des autres institutions en charge de la socialisation et de la transmission des valeurs sociales comme la famille et les institutions religieuses.

Au regard de ce qui précède, il urge d’instaurer une éducation aux médias et à l’information dans les écoles pour amener les apprenants à utiliser les médias numériques avec discernement et d’une manière responsable. Les élèves eux-mêmes ont émis ce vœu lors de nos enquêtes en proposant à 83,1% l’organisation, en leur faveur, des sensibilisations sur le bon usage des TIC et des médias sociaux. Une autre frange de ces élèves (45,8%) suggère d’intégrer et de façon significative des cours sur l’usage des TIC et des médias dans les programmes d’enseignement.

Conclusion

Au regard de l’intérêt grandissant que les jeunes accordent aux médias et réseaux sociaux au Togo, nous avons voulu à travers cet article, questionner les usages qu’ils font de ces outils numériques au prisme avec la place de l’éducation aux médias et l’information dans le système éducatif au Togo. Cette éducation étant censée développer chez eux, un esprit critique et favorable à un usage responsable des médias en général et ceux numériques en particulier.

A partir d’une enquête par questionnaire adressée à un échantillon d’élèves de six établissements publics et privés des cycles secondaires à Lomé et des entretiens semi-directifs réalisés auprès des acteurs clés du système éducatif, il ressort qu’à ce jour, il n’existe aucun cours portant particulièrement sur l’EMI dans les collèges et lycées d’enseignement général au Togo. Seulement certaines disciplines (ECM et Français) abordent de façon sporadique quelques thématiques portant sur les mass-médias, les TIC et la citoyenneté. Il n’existe pas de textes portant intégration d’un tel curricula dans les programmes d’enseignement. En plus, les enseignants n’ont reçu aucune formation sur le sujet. Aucune structure au niveau du ministère chargé des enseignements n’est dédiée à cette question. Par ailleurs, aucune disposition institutionnelle, pédagogique, légale et réglementaire n’est prise en matière de l’EMI.

Ceci favorise les mauvaises pratiques des élèves relatives aux TIC et aux médias sociaux les exposant à des situations à impacts négatifs sur leurs résultats scolaires et leurs comportements en communauté. Au regard de cette situation, des défis (institutionnels, pédagogiques, financier, matériel et législatif et réglementaires) doivent être relevés pour instaurer de façon formelle l’EMI dans les programmes éducatifs au Togo. Il est aussi nécessaire d’impliquer les parents qui sont à la fois responsables de la socialisation des enfants et acteurs clés dans l’éducation formelle.

2 thoughts on “Les usages inappropriés des réseaux sociaux par les jeunes en milieu scolaire au Togo: quelle part de l’éducation aux médias et à l’information ?

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