L’Afrique, particulièrement l’Afrique noire, a toujours maintenu un lien très fort avec ses traditions faites de rites, mythes et coutumes. Le Togo, depuis son autonomie en 1956, et surtout après son indépendance en 1960, ne ménage aucun effort pour consolider et promouvoir les acquis de son identité culturelle. Mais depuis un peu plus d’une décennie, la promotion du patrimoine culturel a pris un essor remarquable, lequel essor a été ralenti par l’apparition du covid-19. Les fêtes et rites traditionnels constituent l’essence même de cette identité culturelle ; le répertoire est si riche, en citant entre autres, Kamaka, Gadao, Hogbeza, Ayiza, Odon-Tsu, Agbogbo-Za, Adzinuku-za, Epe-Ek-pe, Ovazu, Evala. Particulièrement, Evala depuis quelques années, a réussi à s’imposer comme l’événement culturel qui attire le plus de monde, comme va le confirmer encore l’édition 2022, qui replonge la Kozah dans une fièvre festive de haute température après l’interruption de deux ans due à la pandémie du coronavirus. Sur les terres kabyè au nord du Togo, la fête démarre donc ce 9 juillet.
Evala est une cérémonie rituelle qui permet au jeune de 18 ans de passer de l’adolescence à la classe des adultes, ce qui lui confère un statut social avec des droits et devoirs. Le chef de l’Etat Faure Gnassingbé, digne fils du milieu -bien avant lui son père-, s’implique personnellement dans la perpétuation de cette tradition. Souvent, presque durant toute la durée de cette fête, Faure Gnassingbé est présent dans la Kozah, et visible sur plusieurs terrains de lutte pour apporter son soutien aux lutteurs et aux organisateurs.
La lutte traditionnelle en pays kabyè est une occasion pour le jeune kabyè de faire la fierté de sa communauté en se distinguant par la force des muscles, l’endurance et la bravoure. C’est l’une des grandes manifestations initiatiques à part Sangayitou, Ezakpatou, Kondotou et Gnouhoumin. Outre les initiations pour hommes, il existe aussi ‘’Akpéma’’, un rite initiatique destiné aux jeunes filles vierges de 15 à 18 ans, pour les préparer à acquérir des vertus qui feront d’elles des femmes modèles dans la société.
Hier, une fête de retrouvailles entre fils et filles originaires du milieu, aujourd’hui Evala rassemble les togolais de tous horizons, attire la curiosité des touristes de par le monde, et serait devenu un instrument de renforcement de l’intégration sous régionale chère au président de la République Faure Gnassingbé. Plusieurs délégations de la sous-région, certaines, invitées spécialement, étaient présentes lors des éditions passées. Une équipe de lutteurs sénégalais s’était même produite en 2015 en un spectacle qui a drainé un monde fou au stade de football de la ville, des artistes comédiens de la Côte d’Ivoire conduits par une certaine Akissi Delta.
L’initiation et les différentes étapes
Véritable retour aux sources, Evala est aussi vieux que le peuple Kabyè qui le célèbre. L’initiation suit un long processus qui commence depuis la saison sèche,- courant février-mars- par des cérémonies rituelles et mystiques, des épreuves d’endurance et d’abstinence ponctuées d’isolement dans des lieux appelés ‘’Pilin’’ afin de préparer la transition du jeune vers la classe adulte, à laquelle il accédera au bout de trois ans de lutte, pour déboucher sur une seconde initiation quinquennale appelée ‘’Kondotou’’. Jadis, les jeunes qui, délibérément choisissent de boycotter cette initiation, subissent des représailles des sages, des parents et de la société toute entière. Aujourd’hui, la donne a évolué. De la naissance à la dentition, le jeune kabyè est appelé ‘’piya eliizonuu’’, c’est-à-dire, l’être inconscient. De la dentition à l’âge de 17 ans, ‘’piya eliizonuu’’ devient ‘’piya evalay’’ ou ‘’éhoziyè’’ (jeune non initié). A partir de 18 ans, piya evalay est initié, et devient ‘’eyu kifalu’’ ou ‘’evalu’’, qui veut dire ‘’nouveau venu dans les rangs des initiés’’.
L’initiation des jeunes kabyè se subdivise en cinq étapes essentielles. Dans la tradition, dans cette partie du Togo, la famille maternelle détient plus de pouvoir sur l’enfant que celle paternelle. Et donc à la première étape, le père du ‘’piya evalay’’, conscient que son enfant a atteint l’âge de la maturité, se rend très tôt chez l’oncle maternel pour lui demander de venir organiser les cérémonies à son neveu. Celui-ci organise son ‘‘enlèvement’’, le jeune visé ne devant pas être informé au préalable, pour éviter une tentative de fuite. Enlevé, il est scarifié, puis interné, deuxième étape du processus. Il passera quelques jours avec ses autres frères en retraite dans un camp approprié appelé ‘’Ahoo’’ constitué de rochers et d’arbres sacrés. Là, chacun est nourri par ses parents. Au dernier jour du campement, l’initié est conduit chez lui pour la troisième étape de l’initiation : ‘’Azola’’. Pour cette cérémonie, une des tantes, poussin femelle en mains, avec la moutarde, le piment, le sel et les graines de baobab décortiquées, fait asseoir le ‘’piya evalay’’ pour les cérémonies ‘’azola’’.
Le père fournit un poulet et les feuilles de baobab. A la fin de ‘’azola’’, l’on fait porter au jeune un bracelet et un collier en fer lui interdisant de manger en dehors de sa maison. L’endurance initiatique constitue la quatrième étape. Généralement, cette épreuve, sous forme de course de résistance se fait dans l’après-midi au retour d’une chasse faite sur une distance minimale de six kilomètres, selon les cantons. Spécialement dans le canton de Soumdina, cette course est organisée dans la matinée avant le départ pour la chasse. Le but est de préparer chez l’initié l’aptitude à affronter tout danger par sa capacité à courir sur de longues distances en vue de porter secours ou d’alerter la communauté d’un danger éventuel. Durant l’initiation, les initiés consomment la viande du chien; elle leur procure, selon les anciens, force et endurance. Viendront ensuite les luttes Evala proprement dites. L’autorisation de manger en dehors de la maison est la dernière étape du processus, après que le jeune initié est débarrassé de son collier et de son bracelet. Après trois ans de lutte consécutifs, l’initié devient ‘’Sankaru’’ la quatrième année, c’est-à-dire celui qui a fini la lutte. Et la cinquième année, il subit les rites ‘’Kondona’’ qui marquent une fin définitive des différentes cérémonies.
Organisation de la lutte
Les luttes Evala se déroulent dans le mois de mois de juillet. Les dates sont fixées après consultation de l’oracle suivie de l’autorisation accordée par le grand prêtre appelé ‘’Tchodjo’’. Elles se déroulent dans tous les cantons de la préfecture (à l’exception des cantons d’Atchangbadè, d’Awandjelo et de Kpinzindè) et dans celui d’Agbandé Yaka dans la préfecture de Doufelgou. Par équipes de cinq, les lutteurs, torse nu, alliant technique et tactique, force physique, stratégies et ruses, s’affrontent entre clans, quartiers, villages ou regroupements de villages au sein de chaque canton.
Aux dernières éditions, des organisations telles que FOGEES et Aimes Afrique sont présentes sur les terrains de lutte pour apporter secours aux blessés. Dans la plupart des cantons, les empoignades sont précédées d’une danse populaire sur la place du marché, occasion pour les lutteurs de témoigner leur engagement à défendre, à tout prix, leur communauté, et exprimer également leur reconnaissance à l’endroit de leurs aînés et familles qu’ils sont appelés à représenter dans les arènes.
Outre l’alléchant spectacle offert par les lutteurs, il se déroule une bataille des plus rudes autour des aires de lutte, opposant encadreurs, protecteurs spirituels, chanteurs et danseurs, qui s’échinent à doper le moral des leurs tout en déconcentrant ou fragilisant le moral des adversaires. Par des chansons souvent improvisées, au rythme d’harmonica, de flûtes, de sifflets, de castagnettes, torse en sueur saupoudré de talc, des supporters rappellent à certains lutteurs du camp adverse des antécédents honteux et fâcheux, et un village peut chanter contre un autre pour lui rappeler par exemple les faiblesses reconnues de ses ancêtres. Des hommes se déguisent en femmes par l’accoutrement et le maquillage, vieux et vieilles, faisant fi de leur âge, se confondent aux couches jeunes, chantant, sifflotant et gambadant. Et c’est l’euphorie générale qui emballe toute la préfecture. Le ‘’Tchouk’’, boisson locale brassée à base de mil, coule à flots sur les terrains de lutte pour désaltérer lutteurs, supporters et touristes.
Levier économique et vecteur de cohésion sociale
La fête traditionnelle Evala draine tellement de monde que l’impact économique, devient croissant à chaque édition. L’événement provoquant d’importants flux migratoires vers Kara, les autorités se sont employées à investir dans la rénovation des infrastructures routières pour faciliter le transport. Durant la période, le dispositif sécuritaire est bien renforcé pour rassurer les visiteurs. D’importantes activités économiques se développent en cette période, et les structures hôtelières réalisent le pic de leurs chiffres d’affaire. Des vendeurs à la sauvette y trouvent aussi leur compte, livrant ici et là, papier mouchoir, lampes-torche, condoms, cartes de recharges. Les bonnes femmes qui préparent le Tchouk se frottent les mains à cette période.
Les Evala sont une excellente vitrine de promotion des produits et services. Sociétés et entreprises se déplacent en masse pour booster leur visibilité. A la fin des empoignades, toutes les parties se retrouvent en symbiose pour faire la fête en toute fraternité. Evala, de par son succès retentissant est perçu par plus d’un aujourd’hui comme un ciment de la cohésion sociale et un puissant outil d’intégration nationale. Tous les togolais qui se retrouvent sur ce théâtre en juillet oublient pour un moment leurs appartenances politique, ethnique et autres.
Yves GALLEY
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