Chronique sport/ FTF/Saison 2020-2021 : l’investissement colossal insoupçonné

Entre désespoir, scepticisme et incertitude, la saison 2020-2021 de football a fini par prendre corps par suite de chauds épisodes sous les coups de boutoir du covid-19. Dans des conditions particulières, et dans un format inédit inventé pour la circonstance par la Fédération togolaise de football (FTF), les championnats nationaux D1 et D2 ont été joués et bouclés sans incidents majeurs, fors la plausible polémique sur les chèques des champions, qui cache en fait une réalité ici décryptée.

Si l’opinion sportive a admis que le ballon roule sur des stades vides de spectateurs, elle s’est montrée choquée par la publication du chèque octroyé par la FTF au champion de la première division, soit cinq millions de francs CFA. Pour les uns, une telle récompense ne fait qu’attirer du ridicule sur le foot national tout en ternissant l’image du pays, les autres ont abondamment produit des critiques acides pilonnant la FTF de tous les mots. Qui aime le football et n’a pas été choqué par ce fait ? C’est en se mettant au-dessus de la mêlée, en scrutant à la loupe de l’objectivité, c’est en s’extirpant des griffes rigides de la passion et de la détraction, que l’on a pu se poser les bonnes questions, pour sans doute avoir les justes réponses, et comprendre au mieux le sublime effort financier jugé insignifiant du Comité exécutif de la FTF. Et même prendre le risque énorme de le justifier, en situant des responsabilités.

D’entrée, accrochons-nous à un indice. Il est pour le moins inaperçu mais se présente tel un faisceau de lumière qui éclaire sur l’épineuse question de financement du sport national et du foot en particulier. La FTF tenait le 14 juin 2021 son congrès ordinaire au cours duquel ont été examinés les comptes annuels des exercices 2019 et 2020, avec l’adoption du budget 2021. Coup d’œil curieux. Au titre de l’exercice 2019, les comptes de la FTF audités par le réputé cabinet Audit et expertise comptable (AEC) de Eudes Birregah affichent comme ressources 1.064.285.088 FCFA, ainsi réparties : FIFA (646.033.124 FCFA) ; CAF (239.162.224 FCFA) ; Etat togolais (136.500.000 FCFA) ; Autres ressources (42.589.740 FCFA). Mais les dépenses sur cette année étaient chiffrées à 1.214.956.438 FCFA. Au titre de l’exercice 2020, les ressources étaient de 1.694.395.421 FCFA, ainsi réparties : FIFA (1.307.077.486 FCFA) ; CAF (239.162.224 FCFA) ; Etat togolais (nul) et Autres ressources (nul). Les dépenses sur l’année 2020 se chiffrent à 865.815.255 FCFA, ce qui a permis à la FTF de dégager un reliquat de trésorerie évalué à 385.455.023 FCFA (Trésorerie active, dans le jargon de la comptabilité). Quid du budget annuel 2021 ? Il s’équilibre en produits et en charges à 2. 521.955.023 FCFA, soit une hausse de 17,6% par rapport au budget de 2020. La FTF attend, pour tenir ce budget, 1.450.000.000 de la FIFA émanant du Programme Forward qui inclue coûts de fonctionnement et autres appuis, et le financement des projets notamment la construction du centre technique de football que la localité Djagblé devrait abriter. De la CAF, la FTF attend 500 000 000, représentant les droits TV relatifs aux éliminatoires de la CAN Cameroun 2022 et les ristournes de la participation au CHAN Cameroun 2021 ainsi que la dotation pour l’organisation du tournoi UFOA U-17 ; Autres sources de financement, 50 millions. Au tableau de la subvention attendue de l’Etat togolais, tout comme en 2019, le budget affiche 136.500.000 FCFA. Bref, en 2019 et en 2021, au registre des subventions, là où la FTF peut oser, ou se permettre de rêver tout bonnement un milliard ou 500 millions de la FIFA ou de la CAF, elle est contrainte au réalisme, pour n’attendre de l’Etat togolais que la chétive enveloppe de 136.500.000 FCFA destinée au financement des compétitions nationales.

Et pourtant…
Une saison de football coûte des centaines de millions. En 2020, l’Etat n’a versé aucune subvention à la FTF, mais la gestion orthodoxe des fonds alloués par la FIFA et la CAF en cette année a permis à la FTF de constituer une trésorerie active pour financer en partie la saison 2020-2021. La saison régulière D1 et D2 aurait coûté plus de 400 millions de FCFA à la FTF, sans comptabiliser les dépenses occasionnées par les play-offs. Les préparatifs d’avant saison pour baliser la voie à des championnats parfaits sans scandaleuses dérives des parties prenantes, notamment les diverses formations des acteurs (arbitres, staffs techniques, staffs médicaux, administrateurs Connect Togo, secrétaires généraux des clubs, des ligues, médias etc.), l’acquisition du matériel sanitaire (gel et masque) et du matériel sportif (ballons, pompes, etc.), ont indubitablement coûté des dizaines de millions.

Cela fait des années que la FTF a fait sienne la célèbre maxime de Sun Tzu, dans l’Art de la guerre : « Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation ». L’organisation matérielle des matchs déléguée aux ligues régionales a été entièrement financée par la FTF, d’autant que les clubs sont privés de recettes de billetterie en raison des matchs à huis clos. La prise en charge des frais des officiels (arbitres, arbitres assistants, commissaires de matches, assesseurs d’arbitres) s’élève, d’après une source digne de foi, à plus de 5 millions par journée en D1 et D2. En ajoutant la subvention aux médias pour les retransmissions des matchs/rediffusion/ streaming/ reportage/ couverture médiatique, de même que la subvention allouée à la commission médicale, aussi les trophées, les médailles…, il paraît évident, l’organisation des compétitions nationales engloutit des centaines de millions.

Que dire des subventions des clubs ?
Pour cette saison 2020-2021, l’Etat a octroyé 6.125.000 à chacun des clubs de la D1 et 2.500.000 à chaque club de la D2. Sur les calculettes, la contribution totale de l’Etat est évaluée à 143 millions. Pour sa part, la FTF a garni le compte de chaque club de D1 de 8 millions, 5 millions pour chacun des clubs de D2, et deux millions pour chaque ligue. Juste pour les 34 clubs de D1 et D2, la FTF aura déboursé 218 millions sur fonds propres. A la juste mesure des choses, chaque club de D1 a perçu pour le compte de la saison 2020-2021, 8.000.000 plus 6.125.000, ce qui fait 14.125.000 ; chaque club de D2 a récolté 2.500.000 plus 5.000.000, au total 7.500.000. Le club champion D1 aura empoché, en plus des 14.125.000, 5 millions au titre de prime de champion, ce qui fait au total 19.125.000. Le club champion D2 aura encaissé 7.500.000 plus 3.000.000, au total 10.500.000.

Sans oublier que chaque club est censé mobiliser des ressources financières endogènes pour financer sa participation aux compétitions. Tous ces gains glanés par les clubs, précisons-le, puisque c’est très important, c’est en seulement trois mois d’activités, dans un championnat amateur où tous les frais liés à l’organisation sont pris en charge par la FTF, et où les droits télé restent encore un rêve lointain, et que la FTF ne dispose pas de sponsors dignes de ce nom pour la promotion et le financement des championnats. Aussi le caractère inédit du format des championnats en cette saison aura-t-il considérablement réduit les charges des clubs. Ces derniers ont vu les frais d’hébergement extrêmement réduits ou annulés pour la plupart, de même que les frais de transport longue distance, et les frais d’organisation des matchs, lesquels ont coutume d’alourdir leurs charges. Egalement, la masse salariale de la saison active était réduite à trois mois seulement contrairement à une saison normale censée s’étirer sur plusieurs mois.
Bref, tenant compte de nos réalités, les clubs togolais, en cette saison, étaient tout simplement ‘’gâtés’’, en prenant surtout en compte la récession économique qui frappe tous les secteurs du fait de la pandémie à coronavirus.

Le président de la FTF, Guy Akpovy, lors du Congrès ordinaire de la FTF du 14 juin 2021

Débrouillardise…
En passant la comptabilité de la saison 2020-2021 à la loupe, on réalise que la contribution de l’Etat pour les compétitions nationales est presqu’insignifiante, la FTF abandonnée sur les carreaux de la débrouillardise. Situation qui rallume la sempiternelle question de la politique de l’Etat en matière de promotion du sport et du football en particulier. Le Togo consacre avec peine dans son budget annuel un peu plus d’1 milliard de francs aux 24 disciplines sportives officiellement reconnues, au moment où le Benin voisin programme plus de 16 milliards avec moins de disciplines couvertes.

Depuis l’installation de l’équipe Nouvel Elan conduite par le Colonel Guy Akpovy, la FTF a renoué avec le fil de la gestion responsable et efficace des finances, tournant ainsi radicalement la page des détournements, de la corruption endémisée, le tout couronné par la dilapidation à haute dose des fonds destinés au développement du football. Une chance, oui, parce qu’aujourd’hui, la FTF semble afficher une certaine stabilité financière qui lui permet de combler, même si c’est de manière modeste, l’insuffisance de la subvention de l’Etat aux clubs pour faire rouler le ballon. La Fifa, ni la Caf, n’ont plus, depuis le départ de Gabriel Améyi, bougé le petit doigt accusateur pour indexer la FTF et la cribler de sanctions liées à la gestion financière catastrophique et nourrir à répétition crises et scandales. Leurs subventions finissent forcément leur course dans des réalisations tangibles, notamment les infrastructures sportives et techniques. Un mode de gestion qui fonde la probité de Guy Akpovy et qui lui a logiquement valu une place confortable dans la Commission de discipline de la FIFA.

Tenir une saison est budgétivore, en additionnant toutes les rubriques susmentionnées. Les chèques enlevés par Asko et Kakadl de Doufelgou paraissent théoriquement modestes, mais ils cachent l’investissement colossal insoupçonné de la FTF pour relever le défi de la tenue de cette saison si particulière.

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