Les frigoristes et commerçantes de poissons, viandes de volaille et dérivés, piliers non négligeables de l’économie locale, traversent une crise sans précédent. Une mesure gouvernementale visant à promouvoir la consommation du tilapia local, poisson d’élevage togolais, a plongé ces acteurs économiques dans une situation désespérée. Entre mévente, dettes accumulées et produits qui pourrissent dans les frigos, ces femmes et hommes lancent un cri de détresse à l’endroit du gouvernement, et du chef de l’État, Faure Gnassingbé.
Une mesure bien intentionnée, mais aux conséquences désastreuses
En 2022, le gouvernement togolais a instauré une mesure visant à soutenir la production locale de tilapia. Cette décision oblige les frigoristes et commerçants à acheter au moins 10 % de tilapia local lorsqu’ils se procurent des produits congelés. L’objectif affiché est noble : renforcer la filière piscicole togolaise, réduire les importations et soutenir les producteurs locaux. Cependant, sur le terrain, cette politique se heurte à une réalité bien plus complexe.
Les commerçantes, majoritairement des femmes, décrivent une situation catastrophique. « On nous impose le tilapia local. Quand tu vas chercher ta marchandise au frigo, tu dois obligatoirement prendre du tilapia. Si tu achètes un carton de produits congelés, tu dois prendre 3 kilos de tilapia, sinon on ne te vend pas. Mais les clients n’en veulent pas ! », explique Akouvi, une revendeuse du marché d’Adawlato.
Le problème réside dans plusieurs facteurs : le prix élevé du tilapia local, sa qualité jugée insuffisante par les consommateurs, et une mévente généralisée. « Avant, le kilo de tilapia coûtait 1 200 ou 1 300 FCFA. Aujourd’hui, il est à 2 300 FCFA, et personne ne veut l’acheter. Les gens disent qu’il n’a pas le même goût que le poisson importé », confie une autre commerçante, les larmes aux yeux.
Des pertes colossales et un endettement croissant
Pour les frigoristes et commerçantes, cette situation est devenue un véritable cauchemar. Obligés d’acheter du tilapia local pour accéder aux autres produits congelés, ils se retrouvent avec des stocks invendus qui finissent par pourrir dans leurs frigos. « Tu achètes le tilapia à 5 000 FCFA et tu es obligé de le revendre à 2 000 FCFA pour éviter qu’il ne se gâte. C’est une perte sèche à chaque fois », déplore Améyo, qui vit de ce commerce depuis plus de 15 ans.
Les frigoristes, quant à eux, sont confrontés à une hausse des prix du tilapia local.
« Hier, le carton de tilapia coûtait 10 000 ou 11 000 FCFA. Aujourd’hui, il a doublé. Si vous achetez 100 kilos de produits congelés, vous devez prendre 10 kilos de tilapia local à 23 000 FCFA le kilo. Si vous ne le vendez pas, vous perdez cet argent », explique Kodjo, un frigoriste de Lomé.
Cette spirale infernale a plongé de nombreux acteurs du secteur dans l’endettement. « Nous sommes fatigués. On viendra bientôt nous arrêter et nous enfermer pour n’avoir pas remboursé nos dettes. Notre commerce est devenu un combat pour la survie », lance une commerçante, visiblement épuisée.
Un appel urgent aux autorités
Face à cette détresse, les frigoristes et commerçantes de poissons lancent un appel solennel au gouvernement. Ils demandent une révision urgente de la mesure imposant l’achat de tilapia local et une baisse significative de son prix.
« Nous adhérons à la consommation locale, mais le prix du tilapia doit être à la portée des commerçants et des consommateurs. Sinon, nous allons tous fermer boutique », alerte un frigoriste.
Ils réclament également une amélioration de la qualité du tilapia local. « Les clients se plaignent de l’odeur et du goût. Si on veut que les Togolais consomment local, il faut que le produit soit compétitif en termes de qualité et de prix », insiste une commerçante.
Enfin, ils demandent un dialogue avec les autorités pour trouver des solutions durables. « Nous ne voulons pas que notre activité disparaisse. Nous voulons simplement que le gouvernement nous écoute et nous aide à sortir de cette crise », conclut Kodjo.
Quelles solutions pour sauver le secteur ?
Pour les experts économiques, cette crise met en lumière les limites d’une politique mal adaptée aux réalités du marché. Pour imposer l’achat de tilapia local, il faut au préalable s’assurer de sa compétitivité en termes de prix et de qualité. Plusieurs pistes sont envisageables :
1. Subventionner le tilapia local pour en réduire le prix et le rendre accessible aux consommateurs.
2. Améliorer la qualité grâce à des formations pour les producteurs et des contrôles sanitaires renforcés.
3. Sensibiliser les consommateurs sur les avantages de la consommation locale.
4. Créer des débouchés alternatifs pour le tilapia, comme la transformation en produits dérivés (filets, fumés, etc.).
Un secteur vital en péril
Le secteur de la vente de poissons et de produits congelés est un pilier de l’économie togolaise, employant des milliers de femmes et d’hommes. Si rien n’est fait pour apaiser la colère et la détresse des frigoristes et commerçantes, c’est toute une filière qui risque de s’effondrer, avec des conséquences sociales et économiques désastreuses.
Les acteurs concernés espèrent que leur cri d’alarme sera entendu par les autorités.
« Nous en appelons au Président Faure Gnassingbé et au gouvernement. Aidez-nous à sauver notre gagne-pain. Nous ne voulons pas mourir dans le silence », implore Akouvi, résumant le sentiment général.
En attendant, dans les marchés, les frigos restent pleins, et l’espoir s’amenuise. Le temps presse pour éviter une catastrophe économique et sociale.