CRIET : un jugement expéditif qui ne clôt pas le dossier, le magistrat Dogo Henry justifie la poursuite de la procédure au Togo

Dans une analyse juridique particulièrement éclairante, le procureur Dogo Henry (magistrat togolais du ministère public) s’est prêté à l’exercice du décryptage de la justice expéditive orchestrée par le Bénin à la suite de l’acte malveillant ayant visé un citoyen béninois, Steve Amoussou, sur le territoire togolais. En s’appuyant sur les éléments factuels de l’affaire et sur les principes fondamentaux du droit, Dogo Henry a soulevé de sérieuses questions quant à la régularité de la procédure engagée par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) du Bénin. La question de fond décortiquée porte sur le jugement de deux des ravisseurs de Steve Amoussou : ce jugement met-il fin à la procédure engagée par le procureur de Lomé ?

Le magistrat Dogo Henry a, dans son intervention, notamment souligné la rapidité avec laquelle la procédure béninoise s’est déroulée, ainsi que le caractère sommaire des preuves présentées. Selon lui, ces éléments laissent légitimement penser que les autorités béninoises avaient d’autres objectifs que la simple recherche de la vérité et la sanction pénale des auteurs de ces faits graves.

Une violation de la souveraineté nationale

Dogo Henry a rappelé que les faits en question constituent une violation grave de la souveraineté nationale du Togo, et de l’intégrité territoriale. Soulignons avec force que le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale constitue un principe important inscrit dans la Charte des Nations Unies et la pierre angulaire des relations internationales. Ces violations, que certains États belliqueux peuvent facilement interpréter comme un casus belli,  nécessitaient une réponse judiciaire approfondie et respectueuse des principes du droit international. Or, la procédure béninoise semble avoir privilégié la célérité au détriment de la rigueur juridique.

Une coopération judiciaire internationale insuffisante

Dogo Henry a relevé que l’État togolais, en tant que victime directe de ces agissements, aurait pu et dû faire valoir ses droits et intérêts dans le cadre d’une coopération judiciaire internationale plus étroite avec le Bénin. Une telle coopération aurait permis de mener une enquête approfondie et de garantir un procès équitable aux suspects, tout en respectant les droits de l’État togolais.

“Si j’ai bonne mémoire, le 5 avril 2018, la police togolaise avait appréhendé 13 présumés cybercriminels communément appelés « Gaymen » qui s’étaient réfugiés au Togo. Ils ont été remis aux autorités policières béninoises (Quotidien béninois d’Information, d’Analyses et de publicité, N°107 du 6 avril 2018, p.7) en vertu de l’article 11 § 1 de l’accord de coopération en matière de police criminelle entre les Etats de la CEDEAO signé le 19 décembre 2003 à Accra. C’est donc inadmissible qu’en dépit de cet instrument juridique communautaire pertinent, que des étrangers entrent sur le territoire togolais pour enlever une personne et traverser la frontière sans que personne ne le sache. Excusez du peu ! C’est trop facile !”, fustige-t-il.

Au Togo, la procédure suit son cours

Énumérant les cas qui gouvernent l’extinction de l’action publique, Dogo Henry s’est appesanti sur celui de la chose jugée lié au principe d’ordre public universel, désigné dans le jargon judiciaire par l’expression juridique latine « non bis in idem » ou « ne bis in idem ». Cette règle « non bis in idem » est un principe classique de la procédure pénale, déjà connu du droit romain, d’après lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ». Ledit principe a été évoqué à raison dans la décision rendue par le Bénin indubitablement pour couper l’herbe sous les pieds de la justice togolaise et forcer la fin de sa procédure engagée dans la même affaire.

Sauf qu’au-delà de l’universalité de ce principe, des exceptions subsistent, lesquelles auraient, d’après le magistrat Dogo, échappé à la religion du très controversé et suffisant Procureur spécial de la Criet, Elomn Mario Metonou.

” Le principe « non bis in idem » s’applique entre les juridictions pénales d’un même État d’une part, et, à l’égard des juridictions pénales nationales vis-à-vis des décisions rendues par les juridictions pénales internationales d’autre part. Par contre, entre des juridictions pénales nationales de deux États différents, il n’est pas applicable. Je ne vais pas aborder l’application du principe entre les juridictions pénales internationales et les juridictions pénales nationales puisque ce n’est pas ce cas qui se présente. Sur le plan national, il s’applique sans exception à toutes les juridictions pénales d’un même État. Lorsqu’un individu a été jugé, condamné, ou relaxé/acquitté par une juridiction pénale nationale d’un État pour un délit ou un crime, aucune autre juridiction nationale de cet État, ne peut plus déclencher contre celui-ci une autre procédure liée au même crime ou délit. Par exemple si Monsieur X a été arrêté, jugé et condamné ou relaxé par le Tribunal correctionnel de Kara pour vol d’une voiture au Bénin, aucun autre tribunal du pays ne pourra le juger une deuxième fois pour le même vol. Mais un tribunal pénal de la République du Bénin peut le rejuger pour ce même fait. L’application du principe « non bis in idem » pose en effet problème lorsqu’on se retrouve sur le terrain du droit pénal international, au regard des considérations souverainistes des États. Par quelle alchimie, l’on peut contraindre un État souverain à se soumettre à une décision rendue en matière pénale par la justice d’un autre État ? Autrement dit, comment la décision rendue par la CRIET béninoise va – t- elle s’imposer à l’État togolais ? Sur cette question, le Comité des droits de l’homme des nations unies chargée de surveiller la mise en œuvre du PIDCP affirme clairement que l’article 14 § 7 qui prévoit ce principe, n’interdit pas « les doubles incriminations pour un même fait que dans le cas de personnes jugées dans un même État » (CPPR/C31/D 204, 2 novembre 1986, AP c/ Italie). Ainsi, la décision de la CRIET ne s’impose qu’aux autres juridictions pénales de la République du Bénin. L’autre élément justifiant la non application de ce principe est celui du critère de la territorialité des faits, c’est-à-dire le territoire sur lequel les faits ont été commis. Par rapport à cet élément, lorsque des faits sont commis sur le territoire d’un Etat A, l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas à l’Etat A lorsqu’un autre Etat B venait à juger le ou les auteurs de ces faits.”, expose Dogo Henry.

Fort de cette analyse juridique, le magistrat Dogo Henry conclut que la décision rendue par la CRIET béninoise n’a aucune autorité de la chose jugée sur le territoire togolais. Le principe “non bis in idem” ne s’appliquant pas en l’espèce, les autorités togolaises sont donc en droit de poursuivre et de juger les auteurs présumés de ces faits. Ainsi, l’action publique engagée par le procureur de la République de Lomé va pouvoir suivre son cours. Cette décision témoigne de la volonté du Togo de faire respecter son droit et de garantir que les auteurs de ces actes graves répondent de leurs actes devant la justice.

L’expertise du magistrat Dogo Henry apporte un éclairage précieux sur cette affaire complexe et soulève des questions fondamentales sur l’efficacité et la justice des procédures pénales internationales.

Yves GALLEY

 

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