Au Togo, dans une dynamique unitaire très engagée,les trois pouvoirs classiques de l’Etat (législatif, exécutif et judiciaire) se mobilisent à un rythme effréné pour matérialiser le projet de justice militaire. Le premier code militaire de 1981, réchauffé en 2016, a connu un coup de modernisation le 27 décembre 2012 à l’Assemblée nationale, assorti d’un statut des magistrats et auxiliaires des juridictions militaires. Les tribunaux militaires sont désormais opérationnels, les activités de cette juridiction spécialisée ont été officiellement lancées le lundi 09 octobre à Lomé, à la faveur de l’ouverture d’un atelier d’imprégnation des différents corps des forces armées togolaises (FAT).
L’opérationnalisation de la justice militaire s’inscrit dans le cadre du vaste processus de modernisation du secteur judiciaire, consacré l’année dernière par la mise en œuvre des innovations du nouveau Code de l’Organisation Judiciaire (COJ). Après la réorganisation du cadre juridique, le chef de l’État, Faure Gnassingbé, à travers deux décrets, a procédé à la nomination des magistrats militaires devant animer les tribunaux militaires.
Principe du Double degré de juridiction
En droit togolais, les personnes qui sont partie à un procès, qui estiment qu’une décision leur fait grief, bénéficient de la règle selon laquelle ils disposent d’un droit de contestation devant une juridiction d’un degré plus élevé. Sous réserve que la loi prévoit des cas dans lesquels un jugement est rendu en “premier et dernier ressort”. Les tribunaux militaires togolais sont également conçus sur la base de ce principe de double degré de juridiction. Un Tribunal militaire ainsi qu’une Cour d’appel militaire ont été mis en place. La première juridiction sera présidée par Awal Ibrahim, jusque-là Vice-président de la Cour d’Appel de Lomé. Il aura pour assesseurs Kossi Folly et Mondou Laré, tous deux, conseillers à la Cour d’appel de Lomé.
La Cour d’appel militaire sera quant à elle présidée par Kokou Amegboh Wottor, président de la Cour d’appel de Lomé avant sa nomination. Trois assesseurs l’accompagnent, en l’occurrence Ouro-Onaou Kondo, Kosi Edzolevo et Kossivi Egbetonyo. Huit autres magistrats complètent la liste, à savoir, Colonel Messan Akobi (officier supérieur de gendarmerie); Lieutenant-colonel Ograbako Dadjo (officier supérieur des Forces Armées Togolaises); Lieutenant-colonel Kpatchaa Meleou (officier supérieur de gendarmerie); Lieutenant-colonel Akawilou Bide (officier supérieur de gendarmerie); Capitaine Tchilabalo Manibessouwè Banawai (officier subalterne des Forces Armées Togolaises); Capitaine Komla Alontondji Essenouwa (officier subalterne des Forces Armées Togolaises); Capitaine Essouwè Kataya (officier subalterne des Forces Armées Togolaises) et M’Sisme Naranane Samon (Commissaire de police).
Le service des juridictions militaires, aux termes de l’article 6 du nouveau code de justice militaire, est assuré par des magistrats de droit commun, des magistrats militaires, des assesseurs ou jurés militaires, des greffiers
militaires et des sous-officiers appariteurs.
Le militaire, un justiciable comme les autres
Ces nominations, qui tirent leur base légale du statut des magistrats et auxiliaires des juridictions militaires, ouvrent alors la voie au fonctionnement effectif des juridictions militaires, faisant du militaire désormais, un jusiciable comme les autres citoyens, comme l’afffirme le ministre de la Justice, Pius Agbétomey : “Nous avons à bâtir la justice qui est rendue au nom du peuple togolais. Avec l’avènement de la justice militaire, le Togolais saura que le militaire est un frère, le militaire jouit des mêmes droits et des mêmes obligations que lui, et que le militaire aussi est soumis à la loi”. Les complications procédurales liées à la traduction en justice des militaires et paramilitaires appartiennent désormais au temps passé. Depuis le 9 octobre dernier, les tribunaux militaires sont opérationnels. Le lancement des activités a été marqué par un atelier d’imprégnation des différents corps des forces armées togolaises (FAT). L’objectif de cette rencontre était notamment de clarifier aux militaires et paramilitaires, des notions liées aux infractions, les compétences des juridictions militaires, ou encore les fonctions de siège. Les premiers prévenus sont vivement attendus et le peuple attend avec impatience le premier procès devant le Tribunal militaire. L’affaire en attente, qui suscite le plus spéculations et extrapolations, reste l’affaire Madjoulba, du nom de ce colonel, commandant du BIR, retrouvé mort dans son bureau le 4 mai 2020, soit quelques heures après l’investiture de Faure Gnassingbé à la suite de sa victoire à la présidentielle de 2020. Plus de trois ans après, l’épais voile de mystère qui entoure cet assassinat ne s’est donc pas encore dissipé.
“Au Togo, six mois après la mort du colonel Bitala Madjoulba – assassiné dans la nuit du 3 au 4 mai dernier quelques heures après l’investiture du président Faure Gnassingbé à laquelle il venait d’assister –, l’enquête semble progresser. Les expertises balistiques réalisées par la France et le Ghana ont parlé : le commandant du 1er bataillon d’intervention rapide (BIR) a été assassiné avec sa propre arme, un revolver de marque Beretta. Dans la foulée de ces résultats, le juge en charge de l’affaire a lancé une commission rogatoire dans le but de faire auditionner plusieurs militaires”, écrivait RFI le 13 novembre 2020 dans un article titré : “Affaire Madjoulba: le colonel togolais assassiné avec sa propre arme”.
Depuis, l’actualité médiatique sur ce sujet n’a vraiment pas évolué. La dépouille de la victime serait toujours à la morgue de Lomé.
“La détermination du pouvoir à mettre en place les tribunaux militaires visent en priorité le jugement des présumés assassins du colonel Madjoulba. Tout le monde sait que la gravité de ce crime ne favorise guère le triomphe de l’impunité. Il y a un enjeu qu’on a du mal à suspecter, qui se joue dans cette affaire, ce qui obligerait Faure à faire toute la lumière sur ce crime, situer les responsabilités et punir les criminels reconnus coupables à l’issue d’un procès équitable”, décrypte un observateur. Un plat bien chaud sous le maillet des juges du Tribunal militaire.
Quelques articles phares de la loi portant modification de la loi N°2016-008 du 21 avril 2016 portant nouveau code de justice militaire
Article 3 : Le ministre chargé de la défense dirige l’administration judiciaire militaire et concourt avec le ministre de la justice, à garantir le bon fonctionnement des juridictions militaires. Il dénonce au garde des sceaux, ministre de la justice, aux fins de saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature, tout manquement relevé à l’encontre des magistrats militaires dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires. Il exerce les fonctions de chef du ministère public auprès des juridictions militaires.
Article 6 : Le service des juridictions militaires est assuré par des magistrats de droit commun, des magistrats militaires, des assesseurs ou jurés militaires, des greffiers militaires et des sous-officiers appariteurs.
Article 12 : Les personnels et auxiliaires des juridictions militaires portent aux audiences ou dans toutes autres circonstances nécessitant cette tenue, les mêmes costumes que ceux utilisés par leurs homologues des juridictions de droit commun.
Article 13 : Sous réserves des dispositions particulières prévues par les conventions internationales, les avocats de nationalité étrangère ne sont pas admis devant les juridictions militaires.
Article 19 : Le procureur militaire et ses substituts sont des magistrats militaires.
Ils sont nommés par décret en conseil des ministres sur proposition conjointe du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la défense, après avis du conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Article 20 : Les fonctions de juge d’instruction sont exercées par des magistrats militaires. Les juges d’instruction militaires sont nommés par décret en conseil des ministres sur proposition du ministre chargé de la défense, après avis du conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le juge d’instruction militaire procède à tous actes utiles à la manifestation de la vérité dans les affaires dont il est saisi conformément aux dispositions du code de procédure pénale.
Il statue par ordonnance en toute matière, d’office ou sur demande.
Article 26 : Les magistrats de droit commun appelés à présider les chambres du tribunal militaire sont choisis suivant la nature des affaires qu’elles ont à connaître et le grade du prévenu ou de l’accusé parmi les magistrats de la cour d’appel ou du tribunal de grande instance conformément aux dispositions de l’article 27 de la présente loi.
Article 27 : Il est tenu compte, dans la composition du tribunal devant connaître d’une affaire, du grade du prévenu ou de l’accusé au moment des faits objet de la poursuite.
Article 30 : Aucun des assesseurs et jurés militaires ne peut avoir un grade inférieur à celui du prévenu ou de l’accusé. En cas d’égalité de grade avec le prévenu ou l’accusé, le juge militaire doit justifier d’une ancienneté supérieure. En cas de pluralité de prévenus ou d’accusés, la composition de la chambre de jugement est celle prévue pour le prévenu ou l’accusé du grade le plus élevé. Le grade et l’ancienneté dans le grade s’apprécient au jour de l’audience du tribunal.
Article 31 : En cas d’impossibilité du respect de la hiérarchie dans la désignation des assesseurs et jurés militaires, il est passé outre par décision motivée de l’autorité chargée de leur désignation.
Article 48 : Sont justiciables des juridictions militaires :
1) les militaires des forces armées togolaises et les personnels des corps exerçant des missions de sécurité relevant du ministère chargé de la sécurité, en activité, en service détaché, en position de non activité ou en position hors cadre ;
2) les personnes assimilées ;
3) les personnels de la réserve opérationnelle ;
4) les prisonniers de guerre.
Article 49 : Sont considérées comme personnes assimilées :
1) les personnels des corps exerçant des missions de sécurité relevant d’autres ministères, uniquement lorsqu’ils agissent avec les moyens militaires mis à leur disposition ;
2) les individus non militaires poursuivis pour une infraction militaire ;
3) les individus embarqués.
Sont considérés comme individus embarqués, au sens du présent code, les personnes embarquées, à quelque titre que ce soit, sur un bâtiment, un aéronef, un engin ou tout autre moyen de transport appartenant à l’armée ou aux institutions assimilées ;
4) les personnes qui, sans être légalement ou contractuellement liées aux forces armées, sont portées ou maintenues sur les contrôles et accomplissent du service ;
5) les personnels civils employés dans les services et établissements militaires ;
6) les membres des équipages de prise.