Dussey, ou le défi d’une Afrique insoumise

La 77ème session de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) s’est tenue au siège de l’organisation, à New York, du 13 au 26 septembre 2022. Les échanges, cette année, ont porté sur le thème : « Un tournant décisif : des solutions transformatrices face à des défis intriqués ». Des chefs d’État et de gouvernement, et d’autres représentants nationaux de haut niveau se sont relayés à la tribune de l’AGNU pour partager leur vision du monde, affirmer leurs convictions et dénoncer les abus et les extrémismes attentatoires à la paix et à la sécurité mondiales. A son passage, le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, délivre un discours d’une profonde teneur, taillé dans les bons codes diplomatiques, et qui sans doute pour cette raison, n’a pas pu magnétiser les attentions et déchaîner un branle-bas médiatique; le grand public, moins diplomatique, préférant un discours plus direct et sans filtre. Et pourtant…


Pourtant, ce fut une intervention d’intérêt majeur, calquée sur un engagement panafricaniste très fort du ministre Robert Dussey. La force tranquille de sa conviction politique se traduit dans un langage très subtil mais plein de détermination, qui affiche sa soif inassouvie de l’affirmation inébranlable de la souveraineté du continent africain. La quête de la dignité du peuple africain et de son bien-être reste son objectif principal malgré les aléas de la géopolitique mondiale actuelle. Dans sa perception de la diplomatie, le respect de nos nations dans le monde d’aujourd’hui passe inexorablement par la praxis de la solidarité, de la vérité des faits et de la justice.

« L’Afrique ne veut plus s’aligner sur les grandes puissances quelles qu’elles soient. Les grandes puissances veulent réduire l’Afrique à une entité purement instrumentale au service de leurs causes et ne veulent visiblement pas que le continent puisse jouer un rôle important, voire un des rôles principaux dans le monde. Ils s’efforcent le plus souvent à amener les Africains à adhérer à leur narratif et, in fine, les Africains servent utilement à soutenir un camp contre un autre. Quand il s’agit de voter une résolution au Conseil de Sécurité, nous sommes activement sollicités d’un côté comme de l’autre. L’Afrique est alors très courtisée, voire mise sous pression par certains de ses pays partenaires », a martelé Robert Dussey.

Un message dont la clé de décryptage est réservée aux initiés du langage diplomatique raffiné, et qui veut tout simplement rappeler aux grandes puissances qui se disputent l’hégémonie de l’échiquier géopolitique mondial que l’Afrique d’hier ne sera plus l’Afrique de demain.

Robert Dussey à la tribune de l’ONU

Dussey se fait l’avocat d’une Afrique reléguée au rang de faire-valoir et d’outil d’affirmation de puissance étrangère, en revendiquant pour dorénavant la place et le respect qui lui conviennent raisonnablement dans le concert des nations. Cette Afrique en question, rappelons-le, c’est le continent qui demeure le plus grand des blocs régionaux constitués par les 197 membres de l’ONU, avec 54 Etats-membres à son compte. Bien devant le Groupe Asie-Pacifique, (53 États membres); le Groupe d’Europe orientale, (23 États membres); le Groupe latino-américain et les Caraïbes, (33 États membres); le Groupe des États d’Europe occidentale et autres États avec 28 États membres. Mais c’est à cette Afrique qu’on manque le plus de respect, c’est le continent qui ne compte même pas un représentant dans le Conseil de sécurité des NU. C’est pourquoi depuis plusieurs années, Robert Dussey n’a de cesse de rappeler la nécessité de réformer cette ONU pour mieux la démocratiser, parce qu’en vérité, les structures et institutions de cette vielle dame de 77 ans sont victimes de l’usure du temps.


Dussey utilise une rhétorique mesurée empreinte d’une rare élégance : il rassemble ses cibles dans « certains de ses pays partenaires » quand il voulait interpeller les grandes puissances qui tentent de mettre la pression sur les pays africains lors des votes des résolutions à l’ONU. Dussey dénonce avec force et fustige les tentatives de domination et les agissements inadmissibles de certaines puissances, mais sans appuyer à l’excès sur le pathos aux fins de soulever une vague d’émotions. Son langage verbal, posé et bien contrôlé, tisse une concordance remarquable avec la gestuelle habituelle de celui qu’il représente à cette tribune.

Le Togo de Faure Gnassingbé tente de se démarquer pour ne plus être le Togo de la France. Les prises de position du pays sur les questions internationales, les initiatives diplomatiques audacieuses, le tout couronné par l’adhésion du Togo au Commonwealth renseignent brillamment sur le nouveau Togo en construction avec des matériaux de la prudence et de la vigilance, dans une vision de grandeur.

Robert Dussey défend également à cette tribune le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en souhaitant un véritable partenariat d’égal à égal :

« Nous avons aujourd’hui en Afrique une multitude de nouveaux partenaires qui font partie intégrante de la nouvelle géopolitique internationale bien loin des deux blocs antagonistes qui ont structuré le monde d’après-guerre du XXe siècle”.

L’Afrique veut coopérer avec ses alliés sur la base de ses intérêts bien compris », sonne-t-il. Aucune puissance n’a plus donc le droit d’imposer aux pays africains avec qui ils doivent coopérer, avec qui ils doivent commercer, auprès de qui ils doivent acheter des armes ou des équipements industriels.

Par ailleurs, dans ce discours historique, le chef de la diplomatie togolaise s’est employé à valoriser la philosophie pacifiste du Togo en saluant l’implication du président Faure Gnassingbé dans les initiatives en faveur de la paix et de la stabilité en Afrique de l’Ouest et particulièrement dans le Sahel.

Seuls bémols. Dussey, dans son introduction, s’est réfugié dans de vagues généralités quand il fait le deuil des victimes du covid-19 et du terrorisme, sans faire une fixation sur les victimes de son propre pays. “Je voudrais à cet instant, avoir une pensée émue pour les victimes de la pandémie à travers le monde. Les décès causés par la Covid-19 ne doivent pas faire oublier les milliers d’autres victimes de la barbarie humaine, d’actes terroristes, de la pauvreté, des effets des changements climatiques, des drames des phénomènes migratoires ou tout simplement des citoyens anonymes qui ont payé de leur vie pour leurs idées et leurs opinions. Que dire, de nos casques bleus qui, dans l’exercice de leur mission de maintien de la paix, ont sacrifié leur vie. Je voudrais saluer ici leur bravoure et leur abnégation”, dit-il. Cette manière d’aborder ces sujets peut être interprétée comme un manque de patriotisme ou un défaut de proximité ou de connexion avec les populations, particulièrement les familles victimes du covid-19 et du terrorisme.

Autre point. Dussey a fait montre d’un manque de fermeté dans son affirmation de “l’Africaphonie” en déclarant : “Aujourd’hui l’Afrique veut être elle-même, elle est “Africanophone” si vous le permettez”. Non, les dirigeants africains n’ont pas à demander la permission de qui que ce soit pour imposer et assumer entièrement l’Africaphonie. “Si vous le permettez”? Pourquoi “s’ils le permettent ?” Pourquoi faut-il toujours demander l’autorisation à l’occident avant d’impulser et de promouvoir les politiques linguistiques endogènes? Pourquoi demander la permission pour rappeler le respect qui nous est dû? Ne sommes-nous pas suffisamment conscients des enjeux relatifs au bien-être de nos populations?


Dernier point. Il y a lieu de regretter le fait que Dussey ait manqué, quand il saluait l’implication du président Faure Gnassingbé dans les initiatives en faveur de la paix et de la stabilité en Afrique de l’Ouest, de mettre en exergue le rôle joué par Faure Gnassingbé dans la levée des sanctions de la Cédéao contre le Mali, ce qui reste un grand succès diplomatique qui a fait l’unanimité. Il s’est plutôt contenté de mettre l’accent sur la médiation de Faure Gnassingbé dans la crise entre la Côte d’Ivoire et le Mali, qui a abouti à la libération de 3 sur les 49 soldats détenus, un résultat pour le moins pesant dans la balance diplomatique. Parce que d’ailleurs, la démarche en elle-même est en contradiction avec la ligne diplomatique du Togo sur la question du terrorisme.

Mais dans le fond, revenons-y, ce discours de Dussey confirme ses convictions de fervent panafricaniste déjà affichées dans ses ouvrages, notamment “Pour une Paix durable en Afrique, Plaidoyer pour une conscience africaine des conflits armés” et “L’Afrique malade de ses hommes politiques”.

Dans le premier, paru aux Editions Bognini en 2000, à la page 19, l’écrivain et chef de la diplomatie togolaise écrivait : “La paix et la sécurité en Afrique ne peuvent être imposées de l’extérieur. La responsabilité première revient aux dirigeants africains”. Le désir de Dussey de voir une Afrique assumer ses responsabilités pour booster son émergence est donc très vieux et bien ancré, mais les Africains le savent, relever le défi d’une Afrique insoumise, d’une Afrique forte et réellement indépendante, ne sera guère une mince affaire.

“La reconstruction politique et stratégique de l’Afrique, on le sait à présent, sera longue, aléatoire et difficile”, avertissait Dussey dans son second ouvrage cité supra (Page 13).

Seuls les discours engagés ne suffisent pas, la solidarité des dirigeants africains autour des mêmes valeurs, idéaux et objectifs restera à jamais la clé pour faire tomber les chaînes de servitude de ce continent.

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