Le civisme fiscal, moteur du développement durable

Après plusieurs décennies d’indépendance, les Etats africains demeurent tributaires de l’aide extérieure, leur capacité de mobilisation de ressources fiscales intérieures restée faible. Circonstance aggravante, ils sont confrontés depuis l’an dernier à la contraction de l’économie mondiale du fait de la pandémie à coronavirus. Les Etats sont alors obligés de faire preuve d’adresse inventive pour percevoir davantage de recettes internes. Ces recettes constituent la richesse véritable et sûre, sur laquelle comptent, particulièrement les Etats en développement, pour satisfaire leurs besoins dans les différents secteurs publics. Au Togo, de Kodjo Adedze à Philippe Tchodie au commissariat général des impôts, l’éducation fiscale est devenue du coup un domaine d’action stratégique de l’administration fiscale. Le but est de renforcer le consentement volontaire à l’impôt et de booster le civisme fiscal identifié comme moteur de la croissance et du développement durables.


Le paiement des impôts est une composante à part entière de la relation que le citoyen entretient avec la puissance publique. L’Office togolais des recettes (OTR), malgré le contexte covid, a réussi l’exploit de mobiliser 652 milliards FCFA de recettes en 2020, soit une hausse de 4,5% par rapport à 2019 où le fisc togolais avait mobilisé 624 milliards FCFA. L’OTR ayant largement dépassé ses objectifs de mobilisation des ressources propres, on peut gager que le niveau du civisme fiscal des Togolais n’est pas si bas, et qu’en renforçant la culture fiscale, le Trésor public et notre PIB se porteraient mieux.

Le civisme fiscal et son intérêt
Le civisme fiscal est la motivation intrinsèque du paiement de l’impôt, il trouve son fondement dans la loi fiscale et constitue l’ensemble de toutes les obligations auxquelles sont tenus les citoyens en ce qui concerne les finances de l’Etat. Lorsque les contribuables accomplissent volontairement et spontanément leurs obligations de déclaration et de paiement, on parle alors de civisme fiscal. En d’autres termes, le contribuable remplit toujours ses déclarations fiscales, les dépose dans les délais impartis et paye spontanément l’impôt dû. La notion de civisme fiscal se caractérise donc par le consentement volontaire à s’acquitter de ses obligations fiscales.

L’impôt, dans son essence, est une quote-part volontaire par laquelle le contribuable participe au budget nécessaire pour faire fonctionner son pays. Pour enseigner aux élèves, défendre la population, payer les salaires des infirmiers, des juges, des policiers, de tous les fonctionnaires qui font marcher l’État, soutenir les entreprises, venir en aide aux plus démunis, il faut de l’argent. L’État prélève cet argent auprès des citoyens et des entreprises selon des règles précises. Mais lorsque le contribuable est réticent à s’acquitter de l’impôt, on parle d’incivisme fiscal.

Il s’agit du contribuable qui ne remplit pas ses déclarations fiscales ou alors qui dissimule une partie de son chiffre d’affaires. Ce faisant, il ne paie pas ou alors le fait tardivement. Le contribuable use alors de toutes les manœuvres frauduleuses pour échapper à l’impôt. Conséquence, l’insuffisance des ressources internes, ce qui oblige les gouvernants à recourir à l’aide étrangère et à la charité internationale qui, du reste, sont assorties de conditions parfois indécentes et pesantes sur l’économie nationale.

Déterminants du civisme fiscal

Pour paraphraser le chef de l’Etat Faure Gnassingbé, le consentement de tous les contribuables à l’impôt participe de la démarche inclusive recherchée pour actionner le moteur du développement durable. Les recettes fiscales représentent incontestablement la principale source de financement du développement, fournissant à l’Etat les fonds nécessaires pour investir, réduire le taux de pauvreté, offrir des services publics et créer les infrastructures matérielles et sociales qui garantissent le développement à long terme.

La maximisation des recettes de l’Etat doit donc être considérée par tous comme un objectif sacré à atteindre. Mais comment expliquer la réticence des contribuables (entreprises et particuliers) à volontairement payer l’impôt, recourant plutôt à la fraude, usant, par exemple, de fausses déclarations, de l’évasion fiscale ou de la corruption. La réponse à cette préoccupation ainsi postulée conduit à la notion de déterminants du civisme fiscal.

Cette notion est généralement définie comme l’ensemble des motivations qui amènent le contribuable à participer au fonctionnement du système d’imposition et à respecter les obligations y afférentes. Au Togo, le climat semble favorable pour élever le niveau du civisme fiscal : la loi fiscale a bien défini les mécanismes d’assiette (imposition) et de recettes (recouvrement) des divers impôts et taxes. Le système fiscal est déclaratif et permet au contribuable de déclarer librement les revenus de ses activités et de payer les impôts correspondants.

Un calendrier fiscal, à cet effet, est mis en place pour réglementer les périodes de déclaration et de paiement des divers impôts et taxes. Mais dans les pays en développement où les questions de gouvernance se posent avec acuité, bien de facteurs sous-tendent le respect volontaire des obligations fiscales. Des études menées par divers organismes ont permis de dégager quelques déterminants clés qui sont essentiellement le niveau de confiance des contribuables dans les institutions et administrations ; la satisfaction à l’égard des services publics ; la perception de la corruption dans le pays.

Le niveau de confiance
Le consentement à l’impôt dépend du niveau de confiance des contribuables envers les institutions de l’Etat. Les politiques publiques et le fonctionnement de l’État ont un effet significatif sur le civisme fiscal. La capacité de l’Etat à pourvoir aux besoins des citoyens exerce une influence décisive sur le civisme fiscal. Le moral fiscal -la perception qu’ont les citoyens des questions fiscales- et l’image que renvoie la qualité des dépenses sociales, disposent les bénéficiaires des services publics de bonne qualité à payer leurs impôts. L’intégrité des gouvernants et des agents en charge de l’administration est également un indice qui détermine la confiance des citoyens. L’intégrité, étant un pré requis sans lequel le civisme fiscal s’érode, revêt une importance fondamentale. La mise en œuvre de l’Initiative fiscale d’Addis-Abeba est aussi un gage de confiance des contribuables, car elle garantit la transparence, l’équité, l’efficacité et l’efficience du système fiscal. Parlant du système fiscal, il faut souligner que sa simplification renforce le consentement à payer l’impôt.

Les difficultés pour payer les impôts ou même à avoir accès aux informations fiscales peuvent ruiner la confiance des contribuables. Dans ce registre, le Togo fait des progrès avec la digitalisation à grande vitesse du système fiscal et l’éducation fiscale portée par divers canaux, avec une grande mobilisation des médias. Somme toute, l’opinion que les citoyens ont de la gestion du pouvoir politique joue un rôle prépondérant. La politique fiscale est également un facteur important de mise en confiance du citoyen, c’est pourquoi son élaboration nécessite une concertation avec les acteurs socio-économiques.


L’Etat doit mettre tout en œuvre pour remporter la bataille de l’intégrité en faisant une guerre franche à la corruption. Le traitement réservé par les autorités aux cas de corruption, de détournements de deniers publics et d’enrichissement illicite est un levier très important de la bonne gouvernance. Un traitement approximatif a forcément un impact direct sur l’adhésion des citoyens à la politique de mobilisation des ressources fiscales. La corruption se manifeste de diverses manières, un taux de taxation ou d’imposition plus élevé par exemple, offre l’opportunité d’un pot de vin plus important à négocier avec le contribuable. Un accroissement de la pression fiscale peut accroitre indirectement le nombre de fonctionnaires corrompus, de même que le laxisme dans l’application des textes régissant les marchés publics.

Satisfaction à l’égard des services publics
La satisfaction des citoyens-contribuables à l’égard des services publics conditionne fortement le consentement à l’impôt. Il s’agit en fait du lien qui est fait entre les impôts collectés et les actions publiques. Le faible taux de satisfaction à l’égard des services publics, du fonctionnement des principales institutions de l’Etat -y compris l’administration fiscale- peut affaiblir le civisme et nuire à la discipline fiscale. Ainsi la gestion de certaines prestations à l’endroit du public, comme le système de santé, le système éducatif, les infrastructures de base, ou encore l’assistance aux personnes démunies sont autant de motifs de satisfaction qui nourrissent le civisme fiscal.

La perception de la corruption

La corruption rend difficile à l’Etat l’édification d’institutions solides et compromet le succès des mécanismes d’incitation censés favoriser le civisme fiscal. Et l’impunité fait émerger un cercle vicieux de corrompus dont les actions impactent les politiques fiscales. Le contribuable, en effet, en recourant aux services d’un fonctionnaire corrompu de l’administration fiscale doit offrir un dessous-de-table pour échapper à la sanction : en abaissant la probabilité de sanctions, la corruption favorise la fraude fiscale. Si la corruption peut justifier la résistance fiscale, il est important de dénoncer l’autre versant qui est la fraude fiscale. Parce que les deux concepts sont deux formes distinctes de malhonnêteté, mais étroitement liées.

De manière plus globale, la corruption sape le civisme fiscal et, à ce titre, constitue un facteur négatif de la mobilisation des ressources fiscales. D’une part, la fraude favorisée par la corruption décourage les contribuables honnêtes. Le revers est que ces derniers sont incités à imiter les fraudeurs pour bénéficier, eux aussi, d’un allègement de leurs impôts. En un certain sens, la fraude fiscale peut être un moyen de sanctionner les pouvoirs politiques qui tolèrent ou encouragent la corruption. Une certitude, le développement de la corruption a souvent pour conséquence une mauvaise efficacité du gouvernement dans la production des biens publics, ce qui décourage par ricochet le civisme fiscal.

Suggestions

Le développement d’un pays est une œuvre commune qui nécessite que chaque maillon de la chaîne puisse jouer bien sa partition. Il est une évidence, aucun pays ne peut se développer véritablement sans compter sur ses ressources endogènes. Il devient impérieux pour l’administration fiscale, le contribuable et l’Etat de liguer leurs actions pour l’impulsion d’une dynamique unitaire.

L’Etat togolais, ces dernières années, surtout depuis la mise en place de l’OTR, se donne tous les moyens nécessaires pour renforcer la culture fiscale et le consentement à l’impôt. Pour répondre en permanence aux préoccupations des contribuables, un centre d’appels est créé, joignable sans frais au 8201, un site internet “otr.tg” est mis en place. En 2020, l’Etat a pris une batterie de mesures d’accompagnement d’ordre fiscal pour apporter de l’oxygène aux entreprises fauchées de plein fouet par la crise sanitaire.

Entre autres mesures, l’application d’un taux réduit de 10% de la TVA sur les activités de l’hôtellerie et de la restauration; l’accompagnement au cas par cas des entreprises qui se trouveraient dans l’impossibilité de déposer leurs états financiers dans les délais légaux; la suspension de l’application des pénalités de retard pour les impôts qui arrivent à échéance pendant la période de la crise et la réduction du montant des acomptes exigibles dans cette période; la flexibilité dans la gestion des Restes à recouvrer (RAR) des contribuables et plus particulièrement ceux des PME/PMI et la suspension des contrôles fiscaux en entreprise et leur limitation aux entreprises non citoyennes.

La loi de finances 2021 a également apporté plusieurs modifications portant essentiellement sur des ajustements techniques, la mise en conformité avec la règlementation sous-régionale, l’allègement de la charge fiscale et l’élargissement de l’assiette fiscale. Ces mesures suffisent-elles? Pas vraiment.

L’administration fiscale pourrait, notamment, asseoir des pratiques fiscales équitables et justes, améliorer sa communication avec les contribuables où qu’ils résident sur le territoire, renforcer le corps des inspecteurs des impôts par une formation soutenue, et évoluer vers un régime fiscal qui met l’accent sur la progressivité de l’impôt. Elle devrait améliorer la transparence, l’équité et l’efficacité du système fiscal, faciliter davantage le paiement de l’impôt à travers l’utilisation plus accrue des moyens électroniques, consolider la confiance des contribuables. Le secteur informel a la réputation de concentrer une grande partie des « opérateurs économiques » qui payent très peu d’impôts; il faut impérativement trouver les leviers nécessaires à sa fiscalisation, sinon les acteurs du secteur formel seront plus tentés d’y basculer.

Mener une enquête qui aboutit à la classification des contribuables en deux groupes : les réfractaires à l’impôt et les convaincus des bienfaits de l’impôt. Cette classification permettra de faire des actions ciblées pour associer tous les contribuables au fonctionnement du système fiscal. La relation avec les grandes entreprises doit être améliorée; les dirigeants de ces entités pourraient être concertés sur la politique fiscale et les améliorations éventuelles à y apporter pour l’intérêt de tous : le mécanisme de remboursement de la TVA ou encore la mise en place des avantages fiscaux ou les mécanismes de règlement des différends.

Quid de l’Etat? La gestion des finances publiques doit aller de pair avec la reddition de comptes en vue de construire un secteur public sain qui élève le niveau de confiance des contribuables. Plus les gens savent à quoi servent leurs impôts, mieux sont-ils à l’aise de s’acquitter de leurs obligations. Il faut conforter et améliorer l’allègement des formalités administratives à la création ou tout au long de la vie de l’entreprise, renforcer les concertations et la transparence surtout au niveau des collectivités locales. Promouvoir la gestion dite participative et lutter farouchement contre la corruption tout en bannissant les comportements considérés comme garantissant l’impunité. Et l’événement Journée nationale du contribuable doit être réactualisée et s’inscrire dans la pérennité.

Le contribuable, lui, est à la fois l’objet et le moteur du respect spontané de la loi fiscale. Il doit se montrer honnête, ce qui suppose une culture d’éthique, une culture de civisme et de solidarité. Il doit participer aux missions pédagogiques des impôts qu’organise l’administration fiscale, à l’instar des journées portes ouvertes, afin de renforcer sa culture fiscale. Le contribuable doit oser poser des questions à l’administration fiscale et demander conseil sur les points qui lui semblent ambigus : ne pas hésiter à appeler le numéro vert. Le contribuable doit avoir une connaissance appropriée de ses droits et obligations et des techniques fiscales tels que les avantages fiscaux pour essayer d’en tirer avantage et de réduire sa base imposable de façon légale.


L’importance des recettes fiscales dans le financement du développement du Togo n’est plus à démontrer. Mais il reste beaucoup à faire pour édifier véritablement une culture durable du consentement à l’impôt. Car malgré tout, des formes de résistance à l’impôt restent toujours vivaces. Les contribuables et les autorités doivent nouer une relation plus forte et plus dynamique basée sur la confiance, la facilitation et le respect de la législation fiscale.


Source : La Symphonie, N° 186 du 14 juin 2021

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