Suspension de « The Guardian » : incompétence, vices de forme, abus de pouvoir, violation des droits fondamentaux du mis en cause, la Haac : la force et le zèle érigés en droit

« Le pouvoir sans abus perd le charme. » La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), sous l’égide de Pitalounani Telou, s’accommode si bien de cette pensée de Paul Valery. L’institution de régulation des médias, missionnée pour garantir et assurer la liberté et la protection de la presse semble s’ériger en un épouvantail qui inspire terreur dans l’esprit des journalistes, constamment hantés par l’épée de Damoclès qui plane sur leurs organes et cartes de presse. Ambroise Kpondzo, directeur de publication de « The Guardian », gît sur l’échafaud de la Haac depuis le 11 octobre 2021, après s’y être effondré des suites d’une décision aux allures d’un galimatias inexplicable, qui suspend pour quatre mois et son organe et sa carte de presse. Abus de pouvoir, incompétence, violation des droits fondamentaux d’un présumé innocent, notamment le principe sacro-saint du contradictoire…, la force et le zèle érigés en droit, bienvenue dans la République Telou Pitalounani.

Philippe Evegno, les feus Kokou Tozoun, Pitang Tchalla…, des noms qui rappellent des époques où la HAAC était une institution qui impose respect. Kokou Tozoun par exemple, ne s’empêchait pas, à la veille d’une audition programmée, d’inviter le journaliste à des échanges préalables dans son bureau, renvoyant l’image d’un protecteur de la presse avant tout. Pitang Tchalla menait de bonnes batailles pour l’amélioration des conditions de vie des journalistes, il est parti trop tôt avec sa grande volonté, sa bonhomie, son ouverture d’esprit, son sens de compréhension ; la grande faucheuse a détruit sa coupole sous laquelle se réfugiaient des journalistes malmenés parfois par certaines difficultés de la vie. Dans les couloirs des bureaux de ces ex-présidents défilaient sans cesse des journalistes pour divers motifs. Cette page est tournée, malheureusement.

Aujourd’hui, la Haac, c’est un écran noir sur lequel aucun journaliste ne se retrouve, de même que les organisations de presse. Une convocation de cette institution provoque des cauchemars répétés dans le sommeil des journalistes, qui sortent souvent des auditions traumatisés. Je porte, moi-même aujourd’hui, au tréfonds de mon âme, les stigmates indélébiles de ce traumatisme après ma comparution par-devant le tribunal de cette Haac le 09 octobre 2019. « Vous n’êtes rien », m’a asséné sèchement le président de la Haac, Pitalounani Telou, tout en furie, tel un lion prêt à bondir et écrabouiller une brebis tondue, sans Dieu pour lui ménager le vent. « Monsieur le président de la Haac », ai-je rétorqué, tremblotant, complètement sous le choc. « Oui, vous n’êtes rien », martela-t-il de nouveau, plus fort, d’une voix grave et incisive. Au moment où parole ne me fut encore donnée et que je n’eus dit mot pour ma défense, sur les griefs formulés par le plaignant, le directeur général de la Brasserie BB Lomé. Une torture psychologique inoubliable.

La page de ces présidents historiques, sensibles et lucides, fermée, s’est ouverte une nouvelle ère où les journalistes togolais se présentent comme, pour prêter la caricature de Rousseau dans le « Contrat social », les Grecs enfermés dans l’antre du Cyclope, attendant chacun que son tour vînt d’être dévoré. Il y a quelques jours vint le tour de Ambroise Kpondzo, dévoré sans ménagement par la décision N°079/HAAC/21/P, prise au terme d’une procédure entachée de graves irrégularités sur la forme.

Les faits

Dans sa parution n°0126 du 23 septembre 2021, le journal « The Guardian» a consacré un article à la campagne de vaccination contre le Covid 19 intitulé: « Vaccination forcée avec “chars et fusils d’assaut” au Togo : le régime en course pour le prix Nobel de la paix.» Dans l’émission Miwoenegno diffusée en direct sur les antennes de Radio Kanal FM le mardi 28 septembre 2021 essentiellement consacrée à la campagne de vaccination contre le covid-19 au Togo, Ambroise Kpondzo, intervenant par appel téléphonique, a fait des révélations au sujet d’une probable vaccination des élèves. Il a repris ces informations dans sa suivante parution, celle du 30 septembre 2021, confirmant que le directeur du CEG Ségbé a porté à la connaissance des élèves qu’ils seront vaccinés dans les jours à venir. Dans un éditorial intitulé: « Ma colère » de la même parution, il a réaffirmé que les élèves du CEG Ségbé dans la banlieue sud-ouest de Lomé ont été informés par le directeur de l’établissement, le lundi 27 septembre 2021, jour de la rentrée, qu’ils seront vaccinés, précisant avoir vérifié cette information recueillie auprès des élèves.

Actions de la Haac

La Haac, dans sa décision N°079/HAAC/21/P, informe que ses services techniques ont procédé à la vérification de toutes les affirmations de Ambroise Kpondzo, auprès du directeur du CEG Segbe et même des autres chefs d’établissements scolaires de la commune du Golfe 7 et qu’elles se sont révélées être de fausses informations. Dans le souci d’écouter la version du journaliste et d’échanger sur la véracité de ses informations publiées et diffusées, la HAAC l’a invité le vendredi 1er octobre 2021 à une séance d’audition le mercredi 06 octobre 2021. Ambroise Kpondzo, ne s’étant pas fait vacciner et ne disposant pas d’un test PCR négatif de moins de 72 heures, n’a pas été autorisé à accéder à la salle d’audition, conformément aux mesures prises par le gouvernement pour accéder aux bâtiments administratifs. La Haac programme dans la foulée une autre audition le lundi 11 octobre 2021. Le 08 octobre, Ambroise Kpondzo saisit par courrier la Haac, informant l’institution de régulation des médias qu’il ne pourrait se présenter à la prochaine séance d’audition du fait qu’il ne s’est pas fait vacciner « pour des raisons personnelles d’ordre psychologique et physiologique et qu’il ne dispose pas de moyens financiers pour faire le test PCR. »

La Haac considère que ce refus de se conformer aux mesures d’accès aux bâtiments administratifs, en cette période de covid-19, traduit la volonté du journaliste de ne pas répondre à l’invitation de la HAAC, ce qui constitue un défi à son autorité. Aussi la Haac considère-t-elle qu’en publiant ces fausses informations et en appelant « les parents d’élèves, la société civile, les syndicats, les confessions religieuses à tout faire pour stopper cette dérive inacceptable », le journal incite à la désobéissance civile, ce qui constitue, d’après la décision publiée, une faute professionnelle grave sanctionnée par l’article 157 du Code de la presse et de la communication.

Décision

Pour tous ces faits sus énumérés, la Haac décide d’une suspension de quatre (04) mois de parution de l’hebdomadaire « The Guardian» à compter du mardi 12 octobre 2021. En outre, elle décide d’une suspension de quatre (04) mois de la carte de presse du directeur de publication. Celui-ci n’est donc plus autorisé à exercer la profession de journaliste pendant cette période. Décision prise en application de l’article 65, alinéa 3 de la loi organique n° 2018-029 portant modification de la loi organique n° 2004-021 du 15 décembre 2004 relative à la Haac et de l’article 15 du décret n°2021-004/PR du 13 janvier 2021 fixant les conditions de délivrance, de renouvellement, de suspension ou de retrait de la carte de presse et d’ accréditation des envoyés spéciaux et des correspondants permanents de presse au Togo.

Discussions de la décision

Incompétence, vices de forme

La décision N°079/HAAC/21/P, évitons à tout prix de la qualifier d’inique, est l’un des matériaux avec lesquels il est très dangereux de construire un Etat de droit. Le fond de l’affaire n’ayant pas été abordé, puisque le mis en cause n’a pas été auditionné, notre analyse ne peut porter que sur la forme de la procédure (non-respect du principe du contradictoire, violation des droits de la défense). La Haac a statué sur le fond alors que les conditions n’étaient pas réunies. La décision, telle qu’elle a été élaborée donne l’impression qu’elle a été prise dans la précipitation, et laisse penser qu’elle était déjà prise avant l’invitation du journaliste, et que le semblant affiché visant le respect du principe du contradictoire n’était que du folklore. Sinon pourquoi aller si vite alors que le journaliste se donnait les moyens de justifier son absence.

D’ailleurs l’accès aux bâtiments publics sur présentation d’un pass vaccinal est une mesure qui n’est rattachée à aucun texte. Aucune loi n’institue une obligation vaccinale au Togo, donc chacun est libre et nul ne peut être favorisé ou défavorisé en raison du fait qu’il s’est fait vacciner ou non, encore qu’il s’agisse d’une procédure disciplinaire qui peut aboutir à des sanctions. Même dans les tribunaux et cours, les magistrats n’exigent pas les pass vaccinaux aux justiciables ou aux prévenus avant de les recevoir dans les procédures les concernant.

La question juridique qui se pose est de savoir si le refus d’un individu de se faire vacciner contre le covid-19, condition requise pour avoir accès au bâtiment dans lequel se déroule la procédure disciplinaire diligentée contre lui, peut être qualifié de refus de comparaître alors qu’aucun texte législatif ou réglementaire n’institue la vaccination obligatoire ? Bizarrement, la Haac n’a pas motivé sa position sur cette question… ou encore le manque de moyens financiers pour effectuer un test PCR peut-il être analysé comme un refus de comparaître ? La Haac devrait dans ce cas prouver que le mis en cause avait les moyens de le faire et que sa réticence relevait d’une mauvaise foi.

Tout ceci pour dire que la décision N°079/HAAC/21/P n’a aucune valeur juridique et ne peut être opposée à Ambroise Kpondzo. La Haac n’apporte pas la preuve qu’elle a mis tout en œuvre pour écouter en vain le mis en cause. Ce dernier, à tous les niveaux, a fait preuve de bonne foi, en répondant à la première invitation, et en informant via courrier physique la Haac de sa probable absence lors de la séance prévue le 11 octobre, parce qu’il se trouvait dans l’incapacité de remplir les critères autorisant son accès aux locaux de l’institution. La décision de ne pas se faire vacciner, ne pas avoir les moyens pour faire le test PCR, jusqu’à preuve du contraire, répétons-le, ne constituent pas une infraction punissable au Togo, et ne peuvent justifier une condamnation par contumace.


La stratégie de Ambroise Kpondzo ressemble fort à celle d’un avocat procédurier, spécialisé dans le dilatoire pour pousser le juge à créer des brèches sur la forme en vue de s’y engouffrer et provoquer la nullité de la procédure. Cette approche de la gestion des batailles judiciaires rappelle le génie d’un certain Thomas Bidic, réputé avocat français, toqué de procédure, surnommé « l’empêcheur de juger au fond». Dans ce même registre peut-on retrouver quelques avocats Togolais, entre autres, Me Amekoudi, Me Degli, Me Sossah, Me Dourma… Même si Ambroise Kpondzo était de mauvaise foi, il aura réussi, en bon procédurier, à pousser la Haac à la faute. La Haac n’était pas fondée à prendre une décision à son encontre sans l’avoir au préalable écouté. Outre une audition en présentiel, elle pouvait réaliser une audition virtuelle grâce aux nombreuses possibilités offertes aujourd’hui par l’internet et la technologie. La Haac pouvait même, à travers des échanges épistolaires, recueillir les informations nécessaires pour établir la contradiction.

L’article 19 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit en toute matière à ce que sa cause soit entendue et tranchée équitablement dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale. » Et l’article 18 de renchérir : « Tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’un procès qui lui offre les garanties indispensables à sa défense.» Le respect de la présomption d’innocence est consolidé par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui énonce : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.» Par ailleurs, l’article 48 du Code de procédure civile, logé sous le chapitre VI portant Contradiction, dispose : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. »; et l’article 50 du même code consolide : « Le juge doit, en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit, qu’il a relevés d’office ou sur les explications complémentaires qu’il a demandées, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.» Il découle de ces textes que les éléments de la contradiction incombent au mis en cause et non à tierce personne qui n’est pas partie au procès. Les mêmes principes du respect du contradictoire et de celui de la présomption d’innocence s’appliquent dans les procédures disciplinaires administratives.

« Considérant que suite à ces articles et émission, les services techniques de la Haac ont procédé à la vérification de toutes ces affirmations, auprès du Directeur du CEG Ségbé et même des autres chefs d’établissements scolaires de la Commune du Golfe 7 et qu’elles se sont révélées être de fausses informations », lit-on dans la décision de la Haac. Non, la Haac, à la lumière de ses attributions définies sous le chapitre IV de la loi organique N° 2018-029, visant les articles 22, 23, 24 et suivants, n’a aucune compétence pour aller faire ses propres investigations sur le terrain, avant une audition programmée, aux fins de confronter les résultats avec les preuves soumises par le journaliste mis en cause. C’est une première dans l’histoire de la Haac, et plus qu’un scandale, cela constitue un véritable danger pour la liberté de presse.

La source d’information du journaliste, selon le statut de son interlocuteur, sur le même sujet, peut tourner casaque. De surcroît un fonctionnaire, par peur de conséquences fâcheuses, ses informations peuvent logiquement varier selon qu’il est en face d’un journaliste ou des représentants d’une institution de la République. Comment peut-on, sur la base des déclarations d’une source d’information identifiée d’un journaliste (l’on ignore dans quelles conditions les informations ont été recueillies, et quelles questions ont été posées), considérer comme faux le contenu d’un article de presse?

« Considérant qu’en publiant ces articles et en tenant ces propos, dont la véracité n’est pas établie et qui comporte des affirmations gratuites, l’hebdomadaire « The Guardian» n’a pas respecté les règles professionnelles, en violation des dispositions du Code de déontologie des journalistes du Togo, du Code de la presse et de la communication et de la loi organique relative à la HAAC». La démarche professionnelle, la violation des règles éthiques et déontologiques ne s’apprécient qu’à l’audition du journaliste en séance plénière à la Haac. De graves manquements qui, sur toute la ligne, vicient la forme de la procédure et vident le fond de l’affaire de toute sa substance.

Comment la Haac peut, à l’indicatif, affirmer avec force, que la véracité des propos d’un journaliste n’est pas établie, et qualifier ses affirmations de « gratuites », alors qu’elle n’a pas écouté ce dernier ? C’est dire que la Haac, au-delà de sa mission de régulation, s’assigne désormais une nouvelle mission, celle de mener des enquêtes pour authentifier les écrits et propos des journalistes. Dans un total mépris des textes. La violation des principes du contradictoire et de la présomption d’innocence devraient annuler de facto tous les effets de la décision de la Haac.

Abus de pouvoir

Au sens de la loi organique n° 2018-029 portant modification de la loi organique n° 2004-021 du 15 décembre 2004 relative à la Haac, l’abus est défini, à l’article 5, comme : « le fait d’outrepasser certains droits, de sortir d’une norme, d’une règle et, en particulier, injustice, acte répréhensible établi par l’habitude ou la coutume, excès. L’abus se réfère à l’usage excessif d’un droit ayant pour conséquence l’atteinte aux droits d’autrui». Publication de fausses informations, incitation à la désobéissance civile, défi à l’autorité de la Haac constituent les charges retenues contre le directeur de publication de “The Guardian”, Ambroise Kpondzo. La qualification de ces infractions présumées a été confirmée par la décision N°079/HAAC/21/P, les preuves des charges ayant été rassemblées par la Haac elle-même. Ce qui constitue d’ores et déjà un abus de pouvoir, à la lueur de l’article susmentionné. En la forme, Ambroise Kpondzo pouvait se réserver le droit d’enclencher une poursuite contre la Haac pour diffamation, calomnie et fausses accusations. Passons !

Dans la motivation de sa décision, la Haac a visé l’article 157 du Code de la presse et de la communication; l’article 65, alinéa 3 de la loi organique de la Haac et l’article 15 du décret N° 2021-004/PR du 13 janvier 2021 fixant les conditions de délivrance, de renouvellement, de suspension ou de retrait de la carte de presse et d’accréditation des envoyés et des correspondants permanents de presse au Togo.

L’article 157 du Code de la presse et de la communication énonce : « Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a soit appelé à la haine interraciale ou interethnique, soit appelé la population à enfreindre les lois de la République est puni conformément aux dispositions du droit commun. » Si la Haac estime que c’est un appel à la désobéissance civile, le fait de demander aux parents et aux OSC de mettre tout en œuvre pour empêcher la vaccination des élèves, alors la sanction (4mois de suspension qui est une sanction du droit spécial (code de la presse), c’est à dire prévue dans une loi spéciale), qu’elle a infligée au journalise n’est pas légale. Ceci dénoterait tout simplement de la méconnaissance du principe de la légalité des sanctions et peines… La Haac est-elle compétente pour connaître d’une procédure qui, en réalité résulte du droit commun ? Non. Dans ce dossier, un problème de compétence se pose. La Haac s’est trompée dans la qualification juridique des faits, et s’est retrouvée carrément sur le terrain du droit commun ne relevant pas de ses compétences, mais elle a forcé pour statuer.

Pour qu’il y ait infraction, il faut la réunion impérative de trois éléments, légal, matériel et moral. L’élément légal est indiscutable, d’autant que les infractions en question sont prévues par les textes de loi. Les autres éléments sont discutables parce qu’il est difficile de les constituer si le mis en cause n’a pas été écouté. L’élément matériel renvoie au comportement réprimé par la loi. Généralement, l’infraction sera constituée si le comportement a produit le résultat visé par les textes. Pour l’élément moral, il s’agit de l’attitude psychologique de l’auteur du comportement réprimée par la loi. Selon les infractions, l’auteur peut avoir agi avec intention ou par imprudence, c’est pourquoi son audition s’impose à tout prix, tant qu’il n’est pas en fuite. La Haac outrepasse simplement ses droits en rassemblant de son propre chef les éléments constitutifs de l’incitation à la désobéissance civile, en fondant sa décision sur les moyens de droit relevés d’office et sur les résultats d’une supposée investigation menée par ses services techniques.
L’article 65, alinéa 3 de la loi organique de la Haac dispose : « En cas d’extrême gravité, le président de la HAAC adresse une requête au président de la juridiction territorialement compétente qui prononce l’interdiction définitive de parution de toute publication avec retrait de la carte de presse. » (le commentaire précédent sur le droit commun encore valable ici); l’article 15 du décret N° 2021-004/PR du 13 janvier 2021 fixant les conditions de délivrance, de renouvellement, de suspension ou de retrait de la carte de presse dispose, pour sa part : « La Haac peut suspendre la carte de presse à tout détenteur à titre de sanction et pour une durée d’au moins trois mois pour violation des règles déontologiques.»

L’on peut s’interroger sur la nécessité de convoquer l’article 65 de la loi organique de la Haac en son alinéa 3 dans un cas où il n’y a pas d’extrême gravité. Alors que l’alinéa 1, dans ce cas, est plus convenant, car il dispose : « En cas d’inobservation des recommandations, décisions et mises en garde par les titulaires des récépissés de parution des publications et de diffusions nationales et en ligne, la HAAC peut prononcer l’une des autres sanctions suivantes : – la suspension de parution pour quinze (15) jours de la publication pour les quotidiens ; – la suspension de parution de deux (2) mois à quatre (4) mois de la publication pour les autres organes.» La Haac a évité de convoquer cette disposition, pour éviter qu’Ambroise Kpondzo bénéficie de circonstances atténuantes devant agir sur la gravité de la décision, étant donné que ce dernier n’a pas été auparavant mis en garde et ne se retrouve pas en situation d’inobservation des recommandations de la Haac.
Quant au second article, la violation des règles déontologiques ne pouvait pas être établie, étant donné que la Haac n’a pas pu auditionner le mis en cause pour fonder effectivement cette infraction. La sanction qui découle de l’application de cette disposition n’est rien d’autre qu’un usage excessif du pouvoir de la Haac.

Si sanction devait y avoir, en toute légitimité, cette disposition prévoit « au moins trois mois ». C’est dire que le législateur a quand même laissé la latitude à la Haac d’aller au-delà, mais la durée de la sanction est enfermée dans les quatre mois par l’alinéa 1 de l’article 65 de la loi organique de la Haac. Et nous avons déjà expliqué pourquoi la Haac a évité de convoquer cette disposition. L’article 2 de la décision de la Haac peut être interprété comme une volonté délibérée de gravement sanctionner le mis en cause, en considérant la double sanction appliquée : suspension de l’organe et retrait de la carte de presse.

Défi à l’autorité

Une sanction grave, disproportionnée, est-ce une manière pour la Haac de faire respecter son autorité ? Puisque la Haac a considéré la non satisfaction, par Ambroise Kpondzo, des critères devant faciliter sa présence à l’audition comme un défi à l’autorité. La vérité est que l’élément légal de cette faute présumée, si elle en était une, n’est pas constitué. Aucun texte régissant l’écosystème de la presse et de la communication n’érige en faute le défi à l’autorité, qui ne saurait encore moins constituer une circonstance aggravante de la faute initiale. Toute analyse faite, ce présumé défi à l’autorité aurait actionné la gravité de la sanction infligée à Ambroise Kpondzo. Les humeurs, l’émotion et le droit ne font pas bon ménage.

Force à la loi

Dans un Etat de droit qui se respecte, force est à la loi, et les sanctions ne doivent pas être le produit de réactions épidermiques. Le concept d’État de droit s’oppose à la notion de pouvoir arbitraire. Dans un État de droit, la puissance publique est soumise aux règles de droit. Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, a défini l’Etat de droit comme « un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme ». Autrement, nul n’est au-dessus de la loi, aucune institution de la République, aussi forte qu’elle soit, ne peut prendre des décisions en dehors des normes juridiques établies à cet effet.

Heureusement que les décisions de la Haac sont susceptibles de recours en annulation devant la chambre administrative de la Cour suprême, d’après l’article 67 de la loi organique de la Haac. Aux dernières nouvelles, Ambroise Kpondzo contacté, a affirmé avoir introduit dans le délai requis un recours. La juridiction compétente a un mois pour statuer. Le président de la Cour suprême, Abdoulaye Yaya, le justicier avec son épée de la réorganisation de la justice en main, est vivement attendu sur cette question. A moins d’un scandale, le recours du journaliste doit prospérer, car même les yeux fermés, tout bon juriste et défenseur de la liberté de presse doit annuler cette décision qui sanctionne injustement, dans la violation flagrante des textes.

Défaut de compétences juridiques

Bientôt une nouvelle équipe dirigeante à la Haac. Pour une régulation saine et sérieuse des médias, il devient impérieux que cette équipe ait en son sein au moins un juriste chevronné, et que les compétences juridiques de tous les membres et du personnel de la Haac soient régulièrement renforcées. Le gage pour éviter à cette institution importante de la République de s’attirer le ridicule et d’écorner l’image de la République à l’international au travers de ses décisions. Lisez et relisez cette chronique. En attendant la suspension du journal La Symphonie et de la carte de presse de son directeur de publication, ou carrément le retrait du récépissé de parution de l’organe. Dieu veille sur la presse togolaise !!!

La Une qui a fait tant mal à la Haac

One thought on “Suspension de « The Guardian » : incompétence, vices de forme, abus de pouvoir, violation des droits fondamentaux du mis en cause, la Haac : la force et le zèle érigés en droit

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