« Le retour de l’ex » de Moïse Inandjo à la loupe de La Symphonie

La salle de conférence de la Sazof à Lomé refuse du monde ce vendredi 29 juillet 2022, une brochette d’artistes de la chanson occupe la scène, l’événement retransmis en direct sur des canaux internet, c’était une soirée dédicace d’ouvrage littéraire aussi alléchante que le récit exposé dans les pages de “Le retour de l’ex”. Mieux, la dédicace du 11è ouvrage de ce prolifique écrivain togolais Moïse Inandjo, fonctionnaire des Nations-unies, a été un événement exceptionnel, une baignade musico-littéraire dans une ambiance idyllique. “C’est une œuvre qui est bien écrite”, encense Dr Ayih Ayitey, enseignant-chercheur et directeur du Cabinet professionnel de l’écrit “Plume habile”. “Le retour de l’ex”, édité par “Les Editions Continents” retient encore notre attention après l’avant-papier de son lancement officiel. Menu servi : un résumé bien fourni en hors d’œuvre plus une critique en plat de résistance.

 Résumé de l’oeuvre

Fonctionnaire au Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR) et écrivain togolais fortement respecté, Moïse O. Inandjo prouve une fois de plus sa profonde compréhension des hommes et de leurs sentiments, et « Le retour de l’ex » n’y fait pas exception. L’exorde du roman expose sur les origines sanguinaires et effroyables de la légende Olu-Ifian, fondée sur le sacrifice de la vierge Ossiana aux dieux de Soukoutou et Bigou. Olu-Ifian est érigée en déesse d’amour de Soumaré (le pays imaginaire où se déroule l’essentiel du scénario) qui punit quiconque trahit son ou sa partenaire. Ce qui présage des vicissitudes qui vont marquer la vie des trois personnages principaux : Owen, Roxane et Mervine.


L’intrigue principale du roman commence par les préparatifs d’Owen, un jeune homme de cette République de Soumaré, appelé à quitter son pays et sa petite amie Roxane pour aller étudier à La Havane à Cuba. Soucieux de consolider et sécuriser les liens de fidélité, par peur de perdre sa « perle rare » qu’il s’est échiné à « conquérir », Owen suggère un « pacte de sang ». A son corps défendant, Roxane va passer la dernière nuit avec l’élu de son cœur, et l’accompagne le lendemain matin à l’aéroport, le cœur en lambeaux et pétrie de douleur.

A La Havane, Owen rencontre une autre étudiante de la même nationalité, la belle Mervine. La relation commence platoniquement, mais vire très vite à une histoire d’amour torride. Owen va ranger Roxane aux oubliettes, jusqu’à son retour à Soumaré.

Une fois au bercail, il rallume la flamme Roxane, mais rassure Mervine de la rupture de contact avec elle. Owen et Roxane franchissent un palier par les fiançailles, mais le jeune homme impose une totale discrétion à sa fiancée (à laquelle elle ne se conforme pas), pour éviter la propagation de la nouvelle jusqu’à Mervine à la Havane.
C’est sans compter sur la puissance des réseaux sociaux. La nouvelle des fiançailles d’Owen parvient à Mervine, accablée de chagrin. Au retour de Owen, sous l’emprise de la colère, elle décide de rompre ; elle va trouver dans la foulée du réconfort dans les bras d’une tatoueuse marocaine.

Owen subit le coup, et la musique devient son lieu de refuge. Un jour, il empoigne sa guitare et livre une prestation digne d’un Jimi Hendrix au cours d’un concert. Mervine, présente à la soirée et éblouie, décide de lui asséner une bise. L’étincelle qui rallume temporairement les flammes d’amour.

Devenu gestionnaire à Soumaré et propriétaire d’une villa, Owen invite Roxane à emménager avec lui. Suivra leur mariage. La relation en tant que couple marié commence positivement, mais les choses se détériorent rapidement lorsque l’époux devient « influenceur » et commence à maltraiter sa femme, à lui mentir et à la frapper. Entre-temps, Owen tombe sur Mervine dans une salle de sport. Petit à petit, la relation va renaître de ses cendres, grâce aux mensonges répétés d’Owen dans le nid conjugal. Lesquels mensonges encouragent Mervine dans son élan de reconquête : elle trafique des photos de Roxane utilisées comme des preuves irréfutables d’une liaison inconnue de Roxane. Furieux, Owen soumet son épouse à des violences physiques, et la jette à la rue. Tandis que cette dernière glisse dans les gouffres du désespoir et du suicide, Mervine se donne les moyens de se frayer un chemin dans son foyer. Mais le feu s’y invite très vite ; Mervine découvre des messages érotiques qui trahissent les relations d’Owen avec d’autres femmes, s’ensuit une bagarre. Elle est à son tour jeter à la rue. Dans un élan vindicatif, elle publie des nudes d’Owen nu sur les réseaux sociaux. Furieux, ce dernier se lance à sa recherche, mais finit par faire un accident de circulation. Transporté d’urgence à l’hôpital, sa survie tient à une transfusion sanguine.

Une femme anonyme va lui sauver la vie. L’on découvre plus tard que cette femme était Roxane. Marqué et transformé par cette expérience, il demande à Roxane de se remettre avec lui, et porte plainte contre Mervine pour la publication de ses nudes sur internet. Pendant la procédure judiciaire, Mervine tombe amoureuse de son avocat. Ils s’engagent pour la vie.

     Critique

Dans « Le retour de l’ex », dont le titre renvoie plus à un film trash qu’à une intrigue amoureuse à l’ère des réseaux sociaux, Inandjo réussit, par sa présentation détaillée et ingénieuse à se hisser au niveau d’auteurs célèbres tels que Laclos et Sand. Tout comme le premier dans son chef-d’œuvre Les Liaisons Dangereuses, l’auteur rappelle d’entrée au lecteur que l’ouvrage relève de la fiction et n’engage que l’auteur, séparation faite de sa fonction dans le système des Nations-unies.

Le récit du roman met en lice la tradition et la modernité, thème principal. Le sacrifice d’Ossiane, une vierge trentenaire vivante aux dieux symbolise une tradition qui entretient barbarie et cruauté en violation du droit fondamental numéro un de l’homme relatif à la sacralité de la vie humaine. Cette scène pose la problématique de l’utilité et du bon sens de certaines traditions africaines jalousement entretenues par les conservateurs malgré les mutations sociales et civilisationnelles. L’auteur oppose au rituel appliqué à Ossiane, vidée de son sang, une pratique moderne qui est la transfusion sanguine, une vraie merveille médicale. Roxane qui donne du sang, volontairement pour sauver la vie d’Owen. Autre visage de la tradition, Owen essaye de convaincre Roxane de faire un pacte de sang avec lui (une pratique très ancienne).

Moïse Inandjo entretient fortement le conflit entre la tradition et la modernité dans cet ouvrage. Même le sujet de la virginité de la femme jusqu’à la trentaine s’inscrit dans cette problématique. Si la longue période de virginité est recommandée dans certaines sociétés, aujourd’hui, la tendance est à l’éducation sexuelle des jeunes filles le plus tôt possible et la désacralisation des questions liées au sexe. Même si la précocité sexuelle n’est pas clairement promue, les tabous qui recouvrent le sexe tombent ou sont tombés. Des caractéristiques d’une ère nouvelle où émerge la « femme moderne », pour laquelle Owen recommande un traitement respectueux. Pour lui, la nature des relations entre hommes et femmes a évolué, la société de phallocratie a vécu, l’homme est appelé à montrer une attitude plus égale envers les femmes. Force est de constater que malgré ses pensées progressistes, il est toujours sous l’emprise des considérations et stéréotypes liés à la tradition, quand il désigne sa femme, par exemple, par « perle rare ». Une expression qui renvoie l’image d’un objet à posséder, plutôt que celle d’un être intelligent, valeureux et respectable.

Dans le style, l’auteur puise dans un champ lexical militaire, des mots comme « conquérir », « stratégies », pour démontrer le même conflit de pensées. Même la ville où étudient Owen et Mervine, La Havane, est un choix qui ne relève pas du hasard. Ce nom accentue le conflit entre la tradition et la modernité ; la Havane, ville globalement connue pour ses politiques modernes pendant la Guerre Froide, est plutôt un nom dérivé d’un ancien chef tribal.

Autres thématiques qui suscitent intérêt, l’usage inapproprié des réseaux sociaux et la prise de photos intimes même dans un couple marié. L’auteur veut attirer sûrement l’attention du public sur les dangers liés à ces questions, ce qu’il s’est employé à faire subrepticement dans les deux derniers chapitres. Là, le lecteur peut remarquer un changement de ton radical, ainsi qu’un dénouement idéal, voire « trop » idéal. Ainsi peut-on se demander si ces deux derniers chapitres du roman sont vraiment indispensables. Comme par magie, Roxane se remet avec Owen et Mervine trouve quelqu’un qu’elle aime vraiment, et ce grâce à Owen qui croyait bousculer sa sérénité en l’attrayant en justice. Un tel dénouement reste une technique littéraire immortalisée par la célèbre George Sand dans son roman Indiana, à laquelle Inandjo tente de redonner du souffle.

Après avoir lu un tel roman, on cherche souvent à déterminer qui sont les innocents et qui sont les coupables. Mais en amour, c’est une constance, personne n’est complètement innocent, ni complètement coupable. Principale leçon à tirer de cet ouvrage aussi dense dans l’écriture que dans l’élaboration du scénario : l’amour n’est jamais simple. N’est-ce pas de la terre labourée et des tiges épineuses que fleurissent les roses ?

Morceaux choisis

« Frappe toute personne qui trahira son ou sa partenaire et sur qui ta colère sera invoquée et bénis quiconque restera fidèle à son conjoint ou à sa partenaire » – P. 18
« La femme le sent et accorde davantage sa confiance lorsqu’elle est abordée avec respect, empathie et un peu d’humour dans le sérieux » – P. 35
« Si je comprends bien, moi je ne suis qu’un ornement, un simple objet sexuel pour toi ici à La Havane, n’est-ce pas ? » – P. 65
« Les sanguinaires ne sont pas toujours des politiques et des dictateurs, répétait-elle à quiconque voudrait l’entendre, mais aussi et surtout des falsificateurs de la nature ontologique de métaphysique de l’amour » – P. 115

Joshua Kirkhope-Arkley, Stagiaire

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