Au cœur des débats sur l’identité africaine et la coexistence religieuse, un colloque international s’est tenu récemment à Lomé, à l’initiative de la paroisse universitaire Saint Jean Apôtre. Réunissant leaders religieux, universitaires et figures traditionnelles, la rencontre a plongé au cœur d’une question fondamentale : la place des pratiques spirituelles africaines face à l’influence grandissante des religions d’origine occidentale, sous le thème “Christianisme et religions traditionnelles africaines”.
La tenue d’un tel événement au Togo, où le christianisme (catholicisme et protestantisme confondus) représente une part significative de la population (environ 29% selon des estimations de 2004, bien que beaucoup combinent cette foi avec des pratiques autochtones), témoigne de l’importance cruciale de cette réflexion pour le vivre-ensemble et la construction identitaire.
L’appel au retour aux sources : une quête d’identité et de souveraineté spirituelle
Parmi les voix les plus retentissantes de ce colloque, celle de Togbui Dagban Ayivon IV, chef du quartier d’Adakpamé. Ce dernier a particulièrement marqué les esprits. Pour lui, la spiritualité africaine est bien plus qu’une simple collection de rites souvent réduite, à tort, au seul Vodun. Il la décrit comme une “école de pensée et de savoirs” complète, profondément ancrée dans une symbiose avec la nature et une relation particulière avec le divin, accessible à travers les éléments et les divinités ancestrales.
C’est pourquoi il a plaidé avec ferveur pour un retour assumé aux spiritualités traditionnelles. Pour lui, ce n’est pas seulement une quête spirituelle individuelle, mais un impératif pour la “reconstruction de l’identité culturelle africaine”, un levier de souveraineté culturelle et identitaire. Il a souligné les différences fondamentales avec les systèmes spirituels occidentaux, évoquant l’absence de concepts comme le péché originel, le paradis ou l’enfer dans de nombreuses spiritualités africaines. Ce retour, insiste-t-il, est aussi un rejet d’un héritage religieux parfois perçu comme imposé par la colonisation, ayant nié les ancêtres, détruit les symboles et marginalisé les temples. “Les religions importées ont souvent nié nos ancêtres, détruit nos symboles et marginalisé nos temples. Ce retour est donc une démarche politique, culturelle et éducative”, a-t-il affirmé, appelant même les États africains à reconnaître officiellement ces religions et à les intégrer dans les programmes éducatifs.
Les réserves du christianisme : l’illusion des “sources pures”
Face à cette vision, le Révérend Père Charles Kuzo a exprimé des réserves notables. S’interrogeant sur la faisabilité et la pertinence d’un “retour” pur et simple, il a déclaré avec prudence que “Les sources pures sont une illusion”. Cette position souligne la complexité de l’inculturation et de l’adaptation du christianisme en Afrique, un processus qui, depuis des décennies, tente d’intégrer les valeurs des cultures africaines tout en respectant les fondements de la foi chrétienne. La question de l’inculturation, c’est-à-dire l’introduction de l’Évangile dans la culture africaine tout en permettant à cette culture d’accueillir et de véhiculer la Bonne Nouvelle, est au cœur des débats théologiques en Afrique.
Le christianisme en Afrique, en constante évolution, a vu émerger des mouvements religieux d’inspiration chrétienne (comme les Églises africaines indépendantes, souvent qualifiées de messianistes ou spiritualistes) qui tentent précisément de créer une synthèse entre les deux mondes spirituels. Cependant, l’intégration de certaines pratiques ancestrales soulève parfois des questions de syncrétisme pour les institutions chrétiennes établies.
Vers une coexistence harmonisée : le défi du vivre-ensemble
Malgré ces divergences de vues, un consensus clair a émergé du colloque : l’appel unanime à une cohabitation pacifique et complémentaire des différentes religions. Au Togo, où la diversité religieuse est une réalité quotidienne, le “vivre-ensemble” est une valeur précieuse.
Les participants ont souligné l’importance de la compréhension mutuelle et du dialogue pour désamorcer les tensions potentielles et favoriser un enrichissement réciproque. Plutôt qu’une confrontation, l’objectif est de trouver des points de convergence et de construire des ponts entre des systèmes de pensée qui, bien que différents, aspirent tous au bien-être de l’individu et de la communauté.
Ce colloque de Lomé met en lumière une réalité complexe mais dynamique : l’Afrique, et le Togo en particulier, est un creuset où les spiritualités ancestrales continuent de dialoguer avec les religions importées. Loin d’être une simple question de dogme, cette interaction est intrinsèquement liée à la quête d’identité, à la souveraineté culturelle et à la construction d’une société harmonieuse. Le chemin vers une harmonisation complète est long, mais le dialogue initié par la paroisse universitaire Saint Jean Apôtre est une étape cruciale dans cette démarche.