Corruption, violation des droits de l’homme et impacts sur le développement

Au lendemain des indépendances africaines, Frantz Fanon identifiait déjà la corruption au nombre des grands défis des États africains. Plusieurs décennies après, le mal persiste et reste un défi plus grand. Vue sous le prisme des droits de l’homme, la corruption n’est plus uniquement considérée comme une appropriation illicite de richesses et une distorsion des dépenses, mais également, et avant tout, comme une violation potentielle des droits de l’homme. Laquelle violation impacte gravement le processus de développement.

Fléau endémique qui gangrène de nombreuses sociétés, la corruption, est bien plus qu’une simple déviance. Elle constitue une véritable menace pour les droits de l’homme et un frein majeur au développement. Selon la Banque mondiale, chaque année, 1000 milliards de dollars sont versés en pots-de-vin, tandis que quelque 2600 milliards de dollars, soit plus de 5% du PIB mondial, sont détournés. En détournant des ressources publiques, en pervertissant les institutions et en sapant la confiance des citoyens, la corruption érode les fondements mêmes d’une société juste et équitable.

Le processus de prévention et de lutte contre ce phénomène déclenché ces dernières années au Togo permet indéniablement de limiter ses effets nuisibles. La ratification de trois instruments internationaux (la Convention des Nations unies contre la corruption, la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption), l’adoption d’un nouveau code pénal intégrant l’incrimination de ce fléau, et la création de la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) constituent un bouclier forgé par l’État pour se prémunir des méfaits de la corruption. Toutefois, un examen global minutieux de la situation met en exergue un défi du respect des droits de l’homme par la corruption. De ce fait, le phénomène porte atteinte à l’État de droit et à la démocratie, système dans lequel les droits de l’homme sont censés être protégés et promus.

Corruption et atteinte aux droits de l’homme

En sapant les modes démocratiques et en privant les États de ressources nécessaires à l’exercice de leurs fonctions de base en matière de garanties et de production de services de base, la corruption viole indirectement la plupart des droits humains fondamentaux. La corrélation entre les indices de développement humain (IDH) et de perception de la corruption (IPC) atteste bien l’impact néfaste du second sur le premier et, partant, sur le droit au développement des Togolais. Les droits de l’Homme sont saisis, selon Roche J., dans Libertés publiques, comme « un ensemble de droits qui conditionnent à la fois la liberté de l’Homme et l’épanouissement global de sa personnalité en tendant vers un idéal sans cesse enrichi ». La corruption, elle, définie comme l’abus d’une position de pouvoir à des fins personnelles, en particulier pour obtenir un avantage indu ou illégal, entrave la jouissance effective de ces droits, notamment civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Atteinte aux droits civils et politiques : la corruption peut limiter la liberté d’expression, restreindre le droit de vote et entraver l’accès à la justice. Les citoyens peuvent être intimidés ou menacés s’ils dénoncent des actes de corruption, ce qui crée un climat de peur et d’impunité.
Atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels : la corruption peut priver les populations des services publics essentiels tels que l’éducation, la santé, l’eau potable, l’électrification et l’assainissement. Elle peut également entraîner une inégalité de distribution des richesses, aggravant les inégalités sociales et économiques.
• Atteinte au droit à un environnement sain : la corruption peut favoriser des pratiques illégales qui dégradent l’environnement, telles que la pollution, l’exploitation illégale des ressources naturelles et l’urbanisation anarchique.
Atteinte au droit à la sécurité : la corruption peut affaiblir les institutions de sécurité et encourager la criminalité organisée, mettant en danger la sécurité des personnes et des biens, mais surtout la stabilité politique et sociale du pays.

Mécanismes et impacts

Plusieurs mécanismes peuvent expliquer comment la corruption conduit à des violations des droits de l’homme. Les fonds destinés à des projets sociaux ou à des services publics essentiels peuvent être détournés au profit d’une minorité, privant ainsi les populations les plus vulnérables de leurs droits élémentaires. Le népotisme et le favoritisme prospèrent, avec l’attribution de marchés publics ou de postes à des proches ou à des amis, au détriment de candidats plus compétents. Ce qui peut entraîner une mauvaise gestion des affaires publiques et une diminution de la qualité des services. De même que le trafic d’influence : les personnes corrompues peuvent utiliser leur influence pour obtenir des avantages indus, enfreignant ainsi le principe d’égalité devant la loi.

En toute hypothèse, il convient de souligner que les implications de la corruption constituent des violations des droits fondamentaux de la personne. Cela est d’autant plus évident dans le contexte des pays en développement où le chantier du développement est encore immense. Au tout premier point, le ralentissement de la croissance économique : la corruption crée un environnement économique instable et peu attractif pour les investisseurs. Ces derniers, peu rassurés de la sécurité juridique et d’un climat des affaires sécurisé, ne sont pas motivés et déterminés à prendre le risque. Ce qui peut freiner la croissance économique. Aussi peut-on pointer l’augmentation des inégalités. La corruption creuse les inégalités entre les riches et les pauvres, en concentrant les richesses entre les mains d’une minorité. Elle peut engendrer la violation du droit des populations aux infrastructures routières de qualité, ce qui les expose aux accidents de route et à la mort. Les entreprises, quant à elles, corrompues, sont moins compétitives et peuvent nuire à l’image du pays à l’étranger. Les pratiques corrompues peuvent également favoriser des agissements illégaux qui dégradent l’environnement et mettent en péril les ressources naturelles. Autres méfaits, l’encouragement à l’économie informelle et à l’évasion fiscale. Les corrompus utilisent souvent les paradis fiscaux pour dissimuler leurs avoirs, et l’État devient le grand perdant, fauché par l’évasion des recettes fiscales. De tous ces impacts, le plus redoutable reste l’affaiblissement des institutions, car la corruption ternit la confiance des citoyens envers les institutions publiques et affaiblit l’État de droit.

Le Baromètre mondial de la corruption – Afrique, publié en juillet 2019 par Transparency International en partenariat avec Afrobaromètre, confirme cette thèse. D’après les conclusions de cette enquête menée dans 34 pays africains de 2016 à 2018, parmi les principales institutions publiques, la police est vue comme la plus corrompue : 47 % des sondés estiment que les policiers sont majoritairement ou totalement corrompus. Au Togo particulièrement, 55% des citoyens interrogés ciblent policiers et magistrats comme les plus corrompus. Ces deux corporations représentent l’institution centrale censée protéger les droits de l’homme, d’autant qu’elles sont revêtues du pouvoir régalien de la conduite et de la gestion des procédures judiciaires. Leur défaillance, du moins leur corruptibilité, joue un rôle néfaste dans la promotion de l’ État de droit et touche par conséquent le processus de développement.

Cultiver des vertus

La corruption est un fléau multiforme qui a des conséquences dévastatrices sur les droits de l’homme et le développement. Ainsi, on constatera donc que les engagements de l’État à réaliser les droits de la personne, et en particulier les droits économiques et sociaux, lui imposent l’obligation de lutter efficacement et par tous les moyens appropriés contre la corruption afin, d’un côté, de mobiliser suffisamment de ressources à affecter à la satisfaction des besoins nationaux, et de l’autre, de réduire le risque d’effets discriminatoires dans la jouissance et l’exercice desdits droits.

En vue de lutter efficacement contre le phénomène, au-delà des mécanismes de prévention et de détection, de la sensibilisation de l’opinion publique, il est recommandé d’appuyer fort sur le levier de la répression pour dissuader davantage les citoyens à la corruption chevillée au corps. Jouer le jeu de la corruption est une active participation à l’enracinement de la pauvreté, qui ronge des millions de concitoyens.

Il est couramment admis que la croissance est favorable à la réduction de la pauvreté. Les régions du monde où la croissance a été la plus élevée sont aussi celles qui ont, d’après Philippe Delleur, le plus réduit la pauvreté : durant la décennie 1990, l’Asie de l’Est a connu en moyenne un taux de croissance annuel par tête de 6,4 %, et a réduit de près de 15 points la proportion de sa population vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Inspirés de cet exploit, nous devons cultiver des vertus qui nous transforment en vecteurs de croissance et tarir les fleuves de vices qui prédisposent l’âme à la corruption. Pour le développement de notre cher Togo, l’or de l’humanité.

Yves GALLEY

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