Le découpage électoral, l’opacité des préparatifs des élections, l’exclusion des partis politiques d’opposition, la hausse du montant du cautionnement, le non renouvellement des membres de la Commission nationale électorale indépendante (CENI), un torrent de critiques s’abat sur le processus électoral en cours au Togo. Une acrimonie qui ne fera guère le lit, d’après la plupart des opposants, au boycott des élections. Pourtant ça bavarde à tout va.
Le vent des élections souffle sur le Togo, et de plus fort, depuis la convocation du corps électoral le 8 février 2024 pour les élections législatives et régionales. Les dernières dispositions prises par le gouvernement pour répondre aux attentes et préoccupations de l’opposition togolaise ne semblent apaiser les remous.
“Le gouvernement a ignoré les multiples appels de la classe politique à des discussions approfondies sur les conditions d’organisation des élections apaisées et s’est obstiné à dérouler son agenda unitaire”, a dégainé dimanche Yao Daté, le président du Comité d’action pour le renouveau (CAR).
De la chapelle des Forces démocratiques pour la république (FDR), l’on entend le cri de Me Dodji Apevon qui fustige la hausse inattendue du montant du cautionnement. “Ils croient qu’ils nous empêcheraient d’aller aux élections en montant le taux de la caution, parce qu’ils savent effectivement que les gens vivent dans la pauvreté. Nous sommes fatigués, nous sommes dans des difficultés particulières, croyant que si on monte la caution à 500 on aura des difficultés pour payer. Eux de leur côté ils ont les moyens d’Etat. Je ne crois pas que c’est ça qui nous empêcherait de compétir, même s’il faut aller vendre nos teckeraies. On ne vit pas dans un pays comme ça, ce n’est pas normal”, peste l’avocat en toge politique.
La Dynamique pour la majorité du peuple (DMP) fustige pour sa part la non prise en compte de ses appels à la libération des détenus et au retour des réfugiés ainsi qu’à des assises élargies avant l’organisation de toute élection, tout en dénonçant “une gestion unilatérale du processus électoral”.
Question centrale : le découpage électoral
Outre le non des membres de la CENI, c’est le découpage électoral qui cristallise les débats. D’abord sur le défaut de consensus autour du découpage électoral, ensuite sur la répartition des sièges.
“Sur 113 sièges, dans un pays normal, il aurait fallu qu’ils (le parti au pouvoir, ndlr) fassent appel à l’opposition, qu’on s’asseye, qu’on réfléchisse sur comment on les répartit, pour essayer au moins de juguler ou de corriger les inégalités, mais ils ne l’ont pas fait”, râle Dodji Apevon. Certains de ses compagnons de lutte ont fait un travail scientifique, à l’instar de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), la DMP, l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI), pour sortir chiffres à l’appui les disparités dénoncées. ” Le gouvernement dit, en introduction de son annonce du découpage, avoir utilisé les critères démographiques, géographiques et spécifiques pour affecter le nombre de sièges aux circonscriptions électorales. Lesquels de ces critères peuvent valablement justifier que la Région Maritime sans le Grand Lomé, avec 1 346 615 habitants, soit 16,63% de la population se voit 17 sièges alors que la Région de la Kara avec 985 512 habitants soit 12, 17% de la population générale est dotée de 19 sièges ? Lesquels de ces critères justifient que la circonscription électorale du Golfe avec 1 305 681 habitants soit 16% de la population du Togo dispose de 8 sièges, celle d’Agoényivé avec 882 695 habitants soit 11% de la population générale dispose de 6 sièges alors que la Région Centrale avec 795 529 soit 9, 82 % de la population générale soit dotée de 16 sièges ? Par quels critères peut-on justifier que la circonscription électorale de Zio avec 500 020 habitants soit 6,18 % de la population générale conserve 4 sièges alors que Blitta avec 163 272 habitants soit 2% de la population soit dotée aussi de 4 sièges ? Lesquels de ces critères peuvent expliquer que la circonscription électorale de Anié avec 180 158 habitants soit 2,23 % de la population générale soit dotée de 2 sièges tandis que la circonscription électorale de Amou avec 114 172 habitants soit 1,41 % de la population générale aie 3 sièges ? A l’examen de ces données, il est évident que le gouvernement cherche à favoriser certains Togolais au détriment d’autres, violant gravement ainsi le principe constitutionnel de l’égalité entre tous les togolais”, expose la DMP.
Une grille de lecture partagée par l’ADDI et l’ANC.
Le parti de Jean-Pierre Fabre estime que le nouveau découpage électoral au Togo ne règle pas les déséquilibres contenus dans le découpage précédent. « Au contraire, ce nouveau découpage est encore l’occasion pour le gouvernement … de perpétuer les disparités criardes qui créent des catégories de Togolais inférieurs ou supérieurs aux autres, suivant leurs régions d’appartenance ou de résidence. Ce qui est ni plus ni moins, la perpétuation de la ségrégation régionale, à la manière du système d’apartheid qui jadis a ravagé l’Afrique du Sud », tacle le maire de Golfe 4.
L’ADDI pour sa part, constate “que la préfecture de Blitta a 04 sièges de députés avec 163.272 habitants , alors que plusieurs préfectures comptant plus de 200.000 habitants se retrouvent avec 03 sièges. La préfecture de Tône avec 338.775 habitants se retrouve aussi avec 04 sièges de députés ainsi que la préfecture de Zio avec 500.032 habitants se voit attribuer également 04 sièges. ce qui signifie que: 1 siège de député à Blitta = 40.818 hbts ; 1 siège de député à Tône = 84.693 hbts; 1 siège de député à ZIO = 125.008 hbts“.
Trêve de bavardages…
Le vin est tiré, l’heure n’est plus aux râlements. Critiquer au vitriol le mode d’organisation des élections et la répartition des sièges de députés relèverait finalement des principes intangibles de l’opposition. A partir du moment où le boycott n’est plus une option, puisque la plupart des acteurs s’engagent à participer aux joutes électorales malgré tout, il faut concentrer les énergies à la mobilisation de la base électorale, à réunir les moyens pour quadriller au mieux les circonscriptions électorales et les bureaux de vote. La sécurisation des suffrages exprimés a été toujours la plus grande difficulté de l’opposition togolaise, c’est l’un des enjeux et le plus gros défi à relever cette fois-ci.
Aussi, réalisme oblige, l’opposition togolaise doit avoir un sen aigu des rapports de force et savoir adapter son arsenal électoral pour une meilleure confrontation du parti au pouvoir dans les urnes. La démocratie telle qu’elle se pratique sous les tropiques a ses facteurs de particularité. Il serait illusoire d’attendre que le parti au pouvoir, sur des questions électorales, se plie à toutes les conditions exigées par l’opposition pour la formation du consensus. Pour Fabre, le nouveau découpage électoral sert les intérêts du pouvoir. En serait-il autrement si lui-même était au pouvoir? Dans les préparatifs des élections, le parti au pouvoir aura toujours une longueur d’avance, il n’y a rien de nouveau, mais l’on a l’impression qu’à chaque fois, et ce depuis onze élections législatives, l’opposition se laisse surprendre par le jeu du parti au pouvoir.
L’heure est à l’idéopraxie, et pour traduire l’idée de l’alternance en réalité, les râlements doivent être dépassés, la bonne organisation, la synergie des forces et la quête des moyens colossaux érigés en nouveau paradigme de la lutte. Autrement, l’échec électoral sera de tout temps le résultat le mieux partagé de l’opposition togolaise.