Prix Nobel de littérature: l’Afrique, seulement cinq auteurs primés depuis 1901

Avec seulement cinq écrivains africains parmi les lauréats du prix Nobel de littérature, l’Afrique reste loin derrière l’Europe et l’Amérique du Nord, qui représentent les trois quarts des auteurs récompensés. Les écrivains africains sont-ils les oubliés du comité Nobel ?

L’Académie suédoise a décerné jeudi 5 octobre le prix Nobel de littérature à l’écrivain norvégien Jon Fosse. Il rejoint ainsi les 118 autres lauréats, dont 96 venaient déjà d’Europe ou d’Amérique du Nord. Bien que Wole Soyinka, Naguib Mahfouz, Nadine Gordimer, John Maxwell Coetzee et Abdulrazak Gurnah aient été récompensés par le passé, les écrivains du continent africain sont en général peu couronnés par la prestigieuse récompense littéraire. Cinq auteurs primés depuis 1901, « c’est très peu par rapport à toute la production littéraire », soutient Elara Bertho, chercheuse au CNRS et spécialiste des littératures africaines.

« J’attends Ngugi Wa Thiong’o depuis longtemps », avoue Elara Bertho. L’écrivain kényan, toujours cité au Nobel, n’a pour l’instant jamais été récompensé. D’autres noms sont espérés chaque année, comme celui du Sénégalais Boubacar Boris Diop ou du Nigérian Ben Okri, sans succès.
Un prix universel ?

Si Alfred Nobel avait pour but de destiner les prix Nobel aux « personnes ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité », celui de littérature semble oublier certaines zones géographiques. « Il y a une prétention à l’universel qui est en fait un universalisme très eurocentré dans sa manière de considérer les littératures mondiales », affirme Elara Bertho, autrice de l’article Écrivains « noirs » et prix littéraires. « Année après année, il y a des portions entières des littératures qui ne sont pas représentées. » C’est le cas de l’Afrique, mais pas que : Patrick White est le seul auteur récompensé de toute l’Océanie et l’Asie en compte sept sur tout le continent.

Pour Sami Tchak, écrivain togolais ayant reçu le Grand prix littéraire d’Afrique noire, cette différence s’explique par la profusion de « grands écrivains » en Europe et en Amérique. « Il n’y a pas 30 Boubacar Boris Diop, Ben Okri ou Mia Couto en Afrique. Ceux qui méritent le Nobel sont une minorité si on doit se fier à la qualité de l’œuvre », affirme celui qui a écrit La couleur de l’écrivain. La chercheuse Elara Bertho parle quant à elle d’une « longue histoire d’invisibilisation des littératures africaines ».

L’omniprésence des langues européennes

Parmi les heureux lauréats provenant du continent, quatre écrivaient en anglais et un seul en arabe littéraire, au grand dam des auteurs africains francophones. « La francophonie est réduite à sa portion congrue, à savoir la France », explique Elara Bertho. Avec 16 auteurs récompensés depuis 1901, la France domine le classement des pays primés au Nobel de littérature.

Quant aux langues africaines, ce sont les grandes absentes, faute de visibilité. « Si nous parlons de littérature, nous en parlons pour la part qui est directement rattachée à l’Europe, donc celle qui est écrite surtout dans les langues européennes », décrit Sami Tchak. « Quand on parle de littérature africaine, on pense souvent à celles en français ou en anglais. On ne parle pas de la littérature wolof ou de celle en swahili, qui est pourtant l’une des plus grandes littératures du continent », déplore Elara Bertho. Selon la chercheuse, c’est aussi pour cette raison que l’œuvre du Kényan Ngugi wa Thiong’o est intéressante : depuis la publication de son livre Pour décoloniser l’esprit (1986) qui prône la décolonisation linguistique, l’auteur a cessé d’écrire en anglais. Il écrit désormais ses romans uniquement dans sa langue maternelle, le kikuyu.

Pourtant, d’après Sami Tchak, c’est justement grâce à la traduction que les auteurs africains peuvent dépasser les frontières de leurs pays. « Il faut se poser la question aussi de combien de personnes lisent en swahili par exemple ? », s’interroge l’écrivain togolais, qui a consacré tout un chapitre de La couleur de l’écrivain au « mal de langue ». « Personnellement, dans ma langue, j’aurais du mal à lire un texte. Mon propre roman, Femme infidèle, a été traduit dans ma langue maternelle. Quand j’essaie de le lire, ça donne plutôt un exercice de déchiffrage. »
Des romans majoritairement édités en Europe

« Pour briser ces dominations symboliques, il faudrait des prix littéraires en Afrique ou des maisons d’édition puissantes en Afrique », résume Elara Bertho. Seulement, si des coéditions naissent entre la maison d’édition sénégalaise Jimsaan et Philippe Rey ou entre Lomé et Grasset, les maisons d’édition puissantes manquent encore en Afrique. « Les auteurs du continent africain se font encore éditer dans des grandes maisons d’édition en Europe et dépendent de grands prix littéraires européens qui ont une vision eurocentrée de la littérature », rappelle la chercheuse, qui regrette un « système de légitimation extrêmement centralisé ».

Sans espace autonome de validation, la visibilité internationale des auteurs africains repose majoritairement sur leur réception en Europe. « Mohamed Mbougar Sarr ne serait pas devenu ce jeune homme mondialement connu si ses textes avaient été publiés à Dakar », résume Sami Tchak en citant le lauréat du prix Goncourt 2021, qui évoque justement l’injustice éditoriale que subissent les romanciers africains dans La plus secrète mémoire des hommes.

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