Les réseaux sociaux n’échappent pas à l’ordre juridique. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme un espace de non-droit où l’on peut, impunément, publier des images qui portent atteinte à l’honneur et violent la vie privée des individus. Le Togo s’est doté d’un arsenal juridique qui renforce la protection des droits de la personne en sanctionnant les intrusions frauduleuses dans la vie privée d’autrui. Ainsi donc, publier des images obscènes d’un citoyen sur les réseaux sociaux sans l’accord de ce dernier est passible de poursuites judiciaires.
Les réseaux sociaux, régulièrement, sont envahis par des photos et images érotiques. Celles-ci suscitent excitation sexuelle, mais elles jettent également du discrédit et portent atteinte à l’honneur des individus concernés, au nom de la liberté d’expression et de la liberté de presse. Il n’existe, pourtant, de libertés non encadrées, dans n’importe quel pays au monde, quel que soit le niveau de maturité démocratique ou de progrès civilisationnel. En clair, en raison du droit de chacun au respect de sa vie privée, les droits liés à la liberté d’informer subissent des limitations.
En effet, l’article 26 alinéa 3 de la Constitution de 1992 modifiée par la loi n°2019-003 du 15 mai 2019 dispose : « Toute personne a la liberté d’exprimer et de diffuser par parole, écrit ou tous autres moyens, ses opinions ou les informations qu’elle détient, dans le respect des limites définies par la loi ». Cette disposition est reprise par l’article 6, alinéa 2 de la loi 2020-001 du 07 janvier 2020 portant code de la presse et de la communication qui énonce : « Toute personne a la liberté d’exprimer et de diffuser par parole, écrit ou tous autres moyens, ses opinions ou les informations qu’elle détient, dans le respect des limites définies par la loi». L’article 28 de la constitution consacre par ailleurs le droit à la protection civile de la personnalité, en disposant : « Tout citoyen a droit au respect de sa vie privée, de son honneur, de sa dignité et de son image ».
La loi et ses limites ont suscité depuis des siècles chez Montesquieu cette réflexion : « La liberté est le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent. » Et son compatriote Jean-Jacques Rousseau de renforcer dans les mêmes sillons : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Tous les Etats, à des degrés divers, soit par la loi soit par la jurisprudence, protègent la sphère de la vie privée et préservent l’individu de toute atteinte aux principaux aspects de sa personnalité. Si en France, l’article 9 du code civil (loi du 17 juillet 1970) sanctionne de manière générale la violation du droit au respect de la vie privée par voie de presse ou sur internet, le code pénal prévoit une série de dispositions spéciales relatives aux atteintes à l’intimité de la vie privée. En substance, l’article 9 du code civil français dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent sans préjudice de la réparation du dommage subi prescrire toutes mesures telles que séquestres, saisies et autres, propres à empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
Dans une publication titrée : « Les réseaux sociaux et le droit togolais » sur son blog pédagogique, le professeur-ministre Akodah Ayewouadan écrit, rappelant une jurisprudence de la Cour de cassation française : « Toute photo d’ordre privé, c’est-à-dire à l’exclusion des photos de personnes dans l’exercice d’une fonction publique, nécessite une autorisation pour qu’elle soit diffusée au public. Ainsi, la diffusion d’une photo d’un tiers, d’ordre privé, à condition qu’elle soit faite dans le cadre d’un cercle très restreint de famille ou de proches, est possible, même en l’absence d’autorisation de la personne concernée. Cependant, dès lors qu’il y a diffusion « au public », son accord exprès est requis. La photo d’un individu diffusée sur les réseaux sociaux sans son consentement tombe sous le coup de la loi dès lors que la diffusion est faite « au public ». Ce n’est pas parce que l’information que l’on a relayée est vraie que l’on ne se rend pas coupable d’une faute. Quid de la situation d’une personne se trouvant sur une photo de groupe ? Il nous semble que cette situation ne déroge pas au principe posé plus haut. L’assentiment de tous doit être obtenu avant la publication de la photo sauf à occulter le visage de celui dont l’accord n’a pas été obtenu ».
La répression au Togo
Le code civil togolais, par contre, est complètement muet sur la question des atteintes à la vie privée, mais ce vide est bien comblé par le code pénal et la jurisprudence. Les réseaux sociaux restent un canal puissant qui favorise la violation de l’intimité de la personne. Chacun de nous a le droit de garder secrète l’intimité de son existence, afin de ne pas être livré en pâture à la curiosité publique. Personne ne peut donc s’immiscer dans ce domaine contre le gré de l’intéressé. Cette liberté a toujours été menacée et l’est encore plus aujourd’hui, avec l’accroissement de la pression sociale, la relâche de la contrainte morale et le développement des techniques de divulgation et d’investigation.
La violation de l’intimité de la vie privée est une atteinte volontairement portée à l’intimité de la vie privée d’une personne en écoutant, en enregistrant ou en transmettant au moyen d’un procédé quelconque, sans son consentement, ses paroles et ses images à titre privé ou confidentiel.
Sans le consentement de l’intéressé, toute publication se rapportant à sa vie privée expose l’auteur à une poursuite au pénal. Car en effet, l’article 368 de la loi N° 2015-10 du 24 novembre 2015 portant nouveau code pénal dispose : « Constitue une violation de l’intimité d’une personne, le fait : 1) de publier ou de diffuser des papiers ou enregistrements privés, un dessin, une photographie, un film ou tout autre support reproduisant l’image de cette personne sans son accord ou celui de ses ayants droit ; 2) d’organiser, par quelque procédé que ce soit, l’interception, l’écoute ou l’enregistrement de communications privées, orales, optiques, magnétiques ou autres échanges reçus dans un lieu privé, à l’insu ou sans l’accord des personnes en communication ou du maître des lieux. »
La sanction attachée à la violation de cette disposition est prévue à l’article 369 de la même loi : « Toute personne physique ou morale qui viole l’intimité d’une autre personne, est punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans et d’une amende de deux millions (2.000.000) à dix millions (10.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines. »
En violant cette disposition, l’on se rend également coupable d’atteinte à l’honneur, définie à l’article 289 du code pénal comme «… tout acte dirigé contre la marque de considération, l’égard dû au rang, le témoignage d’estime ou l’hommage rendu à la valeur d’une personne ». Beaucoup de togolais ignorent royalement ces dispositions et n’observent aucune limite dans la publication ou le relais des informations susceptibles de les exposer à des poursuites judiciaires. On publie tout, on relaie tout dans une totale insouciance. Le constat malheureux vient encore d’être établi avec l’actualité relative à la suspension par le Comité national olympique du Togo, de Tagba Romain, président de la Fédération togolaise de tennis (FTT) du fait de la fuite sur les réseaux sociaux d’une image venant tout droit de son univers privé. Les uns se donnent tout le plaisir de diffuser ladite image en toute ignorance de leur responsabilité pénale. Sur les plateformes whatsapp, d’aucuns croient se réfugier dans une citadelle imprenable en utilisant des numéros de téléphone anonymes, mais les administrateurs ne doivent pas ignorer que leur responsabilité peut être engagée en cas de commission d’une infraction pénale par un de leurs membres.
Les réseaux sociaux constituent, pour la communication et les échanges entre les membres de la communauté mondiale, un formidable outil, mais leur non maîtrise, leur usage inapproprié et les défis juridiques qu’ils engagent peuvent cacher un véritable danger pour les utilisateurs. L’usage décent et responsable des réseaux sociaux est plus qu’un impératif, si l’on veut éviter des ennuis judiciaires.