Votre journal La Symphonie, injustement renvoyé au purgatoire par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) fait son come-back dans les kiosques plus tôt que prévu. Grâce à la Cour suprême qui a traduit dans les faits le principe historique d’un certain Montesquieu dans la fameuse théorie de la séparation des pouvoirs : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». La chambre administrative de la Cour suprême vient de mettre en mouvement son pouvoir pour arrêter net celui de la HAAC. Le tout, dans l’affirmation d’un Etat de droit en marche où la puissance publique peut être soumise aux règles de droit et répondre de l’observation des lois promulguées. “Avec l’appui du droit, le faible triomphe du plus fort”, clamait déjà au 5e siècle av. J.-C. le dramaturge grec, Sophocle. Le triomphe dans un procès mettant en lice un quidam, patron de La Symphonie, et la HAAC, institution de la République, traduit à perfection ce célèbre axiome atemporel. Voici relatés de manière chronologique les faits marquants de cette bataille judiciaire, des échanges de mémoire à l’audience publique.
Après la publication de la décision N°080/HAAC/P/21 le 03 novembre 2021 suspendant pour deux mois La Symphonie, le journal, représenté par son directeur de publication, forme un recours en annulation pour excès de pouvoir devant la chambre administrative de la cour suprême. La requête été introduite le 09 novembre 2021. La procédure devant cette juridiction de céans est essentiellement écrite. Ainsi, sous l’égide de la chambre administrative, les deux parties échangent des mémoires. En clair, la requête introductive d’instance de La Symphonie est transmise à la HAAC, qui y répond à travers un mémoire. Celui-ci est transmis à la Symphonie qui réagit par un mémoire en réplique. Suivra pour la clôture de la procédure une audience publique le 09 décembre 2021, le délibéré vidé le même jour, dans le strict respect de l’article 67 de la loi organique de la HAAC qui impose à la cour un mois pour statuer.
La requête introductive de La Symphonie
La requête a été introduite par Me Davi Vincent le 09 novembre 2021. Après l’exposé des faits, le demandeur (La Symphonie) invoque ses moyens de droit (raisons de fait ou de droit dont le demandeur et le défendeur se prévalent pour fonder leurs prétentions ou leurs défenses).
Sur la forme (légalité externe) et sur le fond (légalité interne), le demandeur a soulevé quatre (4) moyens, savoir la violation d’un principe général de droit : les droits de la défense ; l’incompétence de la HAAC à statuer en cas de violation de l’article 159 du code de la presse et de communication ; la violation de l’article 26 alinéa 3 in fine de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, en ce que la HAAC a cru devoir interdire la publication du journal « La Symphonie » sans s’appuyer sur une décision de justice ; l’absence de motivation : violation de l’article 67 de la loi organique relative à la HAAC.
-Sur la violation d’un principe général de droit : les droits de la défense
Attendu qu’aux termes de l’article 69 de la loi organique N°2018-029 portant modification de la loi organique N°2004-021 du 15 décembre 2004 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et la Communication, « La HAAC est un organe de régulation en matière de presse et de communication audiovisuelle ; qu’elle peut ainsi organiser des séances d’audition des professionnels des médias en cas de manquements à leurs obligations professionnelles imposées par la loi ; que cette disposition qui n’interdit pas aux professionnels de presse de se faire assister d’un conseil au cours de ses auditions , leur laisse donc la latitude de se faire assister ou non d’un conseil de leur choix ;
Attendu que dans l’arrêt Dame Veuve Trompier -Gravier (CE,SECT., 05/05/1944 °le conseil d’Etat français affirme l’existence d’un principe général du respect des droits de la défense qui doit s’appliquer à toutes les mesures prises par l’administration lorsque celles-ci ont un caractère disciplinaire ou et que la mesure à prendre revêt un caractère suffisamment grave; qu’en effet dès lors que l’administration envisage prendre une mesure contre un administré et que cette mesure a non seulement le caractère d’une sanction mais aussi est suffisamment grave pour l’intéressé, celui-ci doit être informé suffisamment tôt de ce qu’une mesure va être prise à son encontre et des faits retenus contre lui pour lui permettre de préparer sa défense notamment en se faisant assister par un avocat de son choix ; Attendu qu’en l’espèce, le directeur de publication du bimensuel LA SYMPHONIE a été invité en ces termes : « Suite à la parution 194 du 28 octobre 2021 de votre journal Symphonie, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) vous invite à son siège, sis au quartier Agbalépédogan à Lomé, le mercredi 03 novembre 2021 à 10h30 en une séance d’audition pour discuter de son contenu » ; que ces termes ne laissent entrevoir ni qu’une mesure disciplinaire sera prise à son encontre ni les faits retenus contre lui pour lui permettre de préparer convenablement sa défense ; que pire le fait d’avoir refusé au requérant de se faire assister par son conseil qui pourtant était présent, constitue une violation grave du principe du respect des droits de la défense consacré en tant que tel comme un principe général de droit dont l’inobservation est un motif sérieux d’annulation des décisions faisant grief.
-Sur l’incompétence de la HAAC à statuer en cas de violation de l’article 159 du code de la presse et de communication
Attendu que les faits retenus par la HAAC contre le bimensuel LA SYMPHONIE qualifiés de « graves violations et manquements professionnels » notamment le fait d’avoir proféré « des injures gratuites contre la personne du Président et les membres de la HAAC… », se retrouvent selon la décision attaquée à l’article 159 du code de la presse et de la communication ; qu’aux termes de cette disposition, « Constitue un délit d’offense au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat, au Premier Ministre, aux députés, aux sénateurs, aux membres du gouvernement et les institutions constitutionnelles, tout fait ou action manifesté par l’un des moyens énoncés dans le présent Code portant atteinte à l’honneur, à la dignité et la considération de leur personne, de même qu’aux fonctions dont ils assurent la charge.
Le délit commis dans le cas prévu par cette disposition est puni d’une amende de 2.000.000 à 5.000.000 FCFA.
En cas de récidive, le double de la peine maximale prévue est appliqué.»; qu’il infère clairement que les faits prévus et punis par cette disposition constituent un délit susceptible d’être connu par les juridictions répressives de droit commun et non de la HAAC qui n’est qu’une autorité administrative indépendante disciplinaire dépourvue de toute compétence juridictionnelle répressive; qu’en ayant statué ainsi sur la base de ce texte, la HAAC s’est muée en juridiction judiciaire alors qu’elle n’en a pas la compétence ; qu’il s’ensuit que la décision attaquée doit être annulée pour ce chef ;

-Sur la violation de l’article 26 alinéa 3 in fine de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992
Attendu qu’en effet la loi fondamentale dispose en son article 26 alinéa 3 « l’interdiction de diffusion de toute publication ne peut être prononcée qu’en vertu d’une décision de justice. » Attendu que malgré ce verrou constitutionnel, la HAAC a cru devoir prononcer interdiction de diffusion contre le journal du requérant ; Or la HAAC avait la possibilité légale d’attraire le journal et son directeur de publication par-devant les juridictions pour voir dire ce que de droit ; Que n’ayant pas agi ainsi, la HAAC a sanctionné le journal que par pur excès de pouvoir, ce qui expose la décision attaquée à annulation certaine par la chambre administrative de la haute juridiction.
- Sur l’absence de motivation : violation de l’article 67 de la loi organique relative à la HAAC
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 67 de la loi organique relative à la HAAC « les décisions prises en application des dispositions de la présente loi sont motivées » ; qu’en effet, l’obligation de motiver est une règle essentielle qui gouverne les procédures qui aboutissent à des décisions qui font grief ; qu’elle constitue une démarche scientifique rigoureuse visant à fonder la décision prise en fait et en droit, garantie fondamentale contre l’arbitraire ;
Attendu que cette démarche rationnelle répond à une triple finalité à savoir d’abord, elle oblige l’auteur de la décision au raisonnement juridique qui consiste à confronter la règle de droit applicable avec les faits de la cause ; qu’ensuite elle constitue pour la personne visée par la décision, une garantie que prétentions, moyens et arguments ont été sérieusement et équitablement examinés par l’auteur de la décision ; qu’enfin elle permet à l’auteur de la décision de justifier sa décision pour la soumettre au contrôle d’une instance supérieure ; qu’ainsi l’obligation de motivation telle que prévue à l’article 67 précité est une obligation à laquelle la HAAC ne saurait se soustraire dans le cadre des procédures disciplinaires enclenchées contre les organes de presse et de la communication en ce que ses décisions font nécessairement grief et sont d’ailleurs susceptibles de recours juridictionnels ;
Attendu qu’en l’espèce, il ressort clairement de la décision attaquée que la HAAC s’est bornée juste à dire que le directeur de publication de La Symphonie a véhémentement critiqué la décision de la HAAC contre The Guardian ; qu’il a proféré des injures gratuites à l’endroit des membres de la HAAC sans toutefois caractériser dans une démarche rationnelle comme l’impose l’obligation de motivation de l’article 67, ni les faits qualifiés par de violations « des règles professionnelles et des dispositions du code de déontologie des journalistes du Togo », ni « les graves violations et manquements professionnels relevés dans la publication du 28 octobre 2021 ; que pire il ne ressort nulle part de la décision l’examen et la confrontation des moyens, arguments et prétentions soulevés par le directeur de publication au cours de l’audition ; qu’il y a lieu de constater que la HAAC n’a pas suffisamment motivé sa décision conformément à l’article 67 de la loi organique relative à la HAAC ; qu’elle s’est en conséquence rendue coupable d’un abus de pouvoir et que la décision qui s’ensuit doit être annulée.
Le mémoire de la HAAC en réponse à la requête introductive d’instance de La Symphonie
En la forme et in limine litis, la défenderesse (la HAAC) a fondé ses pauvres moyens sur une erreur matérielle qui s’est glissée dans la requête introductive du demandeur. Celui-ci, au lieu de viser la décision N°080/HAAC/P/21, a plutôt écrit N°080/HAAC/ 21/P. « Que la juridiction de céans ne pouvant se fonder sur le recours du demandeur dirigé contre la décision N°080/HAAC/21/P pour statuer sur la décision de la HAAC N° 080/HAAC/P/21 du 03 novembre 2021, il échet de déclarer le recours du demandeur introduit le 09 novembre 2021 à l’encontre de la HAAC, irrecevable, cette dernière n’ayant jamais rendu la décision visée par le recours en annulation. », expose la défenderesse.
Autre moyen soulevé, le délai du recours. La HAAC estime avoir notifié par « voie électronique » (preuve à l’appui) au directeur de publication de La Symphonie sa décision le 03 novembre 2021. Que par conséquent, en se basant sur les dispositions légales encadrant la computation des délais, le recours de La Symphonie serait frappé de forclusion, car introduit le 6e jour au lieu du 5e.

« Qu’à compter de la date de notification de la décision N°080/HAAC/P/21 en date du 03 novembre 2021 au bimensuel La Symphonie, celui-ci avait jusqu’au 8 novembre 2021 pour déposer son recours par-devant la juridiction de céans contre cette décision; Qu’or, ce n’est que le 09 novembre 2021 que le Directeur de Publication déposera son recours non pas contre la décision de la HAAC rendue le 03 novembre 2021 mais contre une curieuse décision N°080/HAAC/21/P qui diffère notablement de la décision rendue par la HAAC le 03 novembre 2021 qui est la décision N° 080/HAAC/P/21; Qu’il s’ensuit que le demandeur au recours n’a introduit son recours ni dans le délai qui lui est imparti par l’article 67 de la loi organique ni contre la décision N°080/HACC/P/21 de la HAAC en date du 03 novembre 2021; Qu’il y a lieu dans ces circonstances de déclarer son recours en date du 09 novembre 2021 irrecevable car en plus d’avoir été exercé contre une décision jamais rendue par la défenderesse, a été introduit par le demandeur, plus de cinq (5) jours après que la décision N°080/HAAC/P/21 lui ait été notifiée… », écrit la défenderesse.
Au fond, sur les faits et la procédure, la HAAC a tenté de justifier sa procédure disciplinaire et la décision prise le 03 novembre 2021, en rappelant plusieurs extraits de l’article de La Symphonie mis en cause et jugés injurieux. Sur les moyens invoqués par le demandeur dans son recours en annulation, la HAAC s’est évertuée à embobiner les hauts magistrats de la cour en les attaquant agressivement un à un. « Attendu que s’agissant de l’assistance de l’organe de presse par un Conseil devant la HAAC à laquelle le demandeur espère s’accrocher pour faire croire en l’illégalité de la décision prise à son encontre et en obtenir l’annulation de la juridiction de céans, il lui revient de faire la preuve qu’il était dans les locaux de la HAAC avec son Conseil et que celle-ci lui aurait refusé d’être assisté ; Qu’à défaut de rapporter cette preuve, la juridiction de céans n’aura d’autre option que de rejeter purement et simplement cette prétention fallacieuse ; Que d’ailleurs, le fait que le Conseil du demandeur se soit déconstitué alors même que la procédure venait à peine de démarrer devant la juridiction de céans achève de convaincre du manque de crédibilité de cette assertion tendant à faire croire à un refus d’exercer son droit fondamental à la défense qui lui aurait été opposé par la HAAC », peut-on lire sur la défense du premier moyen du demandeur. La défenderesse va se couvrir de ridicule en essayant de déconstruire le 2e moyen du demandeur tiré de l’incompétence de la HAAC à statuer sur la base de l’article 159 du Code de la presse et de la communication. « Qu’à la lecture de ces dispositions, il apparaît clairement que le métier de journaliste se trouve rigoureusement encadré par la loi et qu’en cas de violation de celle-ci, la HAAC est totalement fondée à intervenir en tant qu’autorité administrative en charge de la régulation et ceci, sur la base des dispositions de la loi organique ; Que soutenir que la HAAC serait incompétente à exercer son activité de régulation en cas de violation des dispositions de l’article 159 du code de la presse et de la communication reviendrait à faire croire que les manquements prévus à cet article auraient été commis en dehors du métier de journaliste… », dégaine-t-elle. Sur les autres moyens de droit, rien de consistant à retenir.
Le mémoire en réplique de La Symphonie au mémoire de la HAAC
Le mémoire de la HAAC a été notifié à La Symphonie par la cour le 23 novembre 2021. « Je vous invite à déposer votre mémoire en réponse au plus tard le jeudi 25 novembre 2021, sous peine de forclusion. », écrit la présidente de la chambre administrative dans le courrier de transmission. Dans le délai, La Symphonie a déposé son mémoire en réplique, subdivisé en deux parties, la recevabilité et le fond. Précision importante, l’avocat Me Davi, sollicité par La Symphonie à l’étape de la requête introductive d’instance, s’est entre-temps déconstitué pour des raisons personnelles. Pour la suite de la procédure, La Symphonie s’est rapidement attaché les services de Me Joseph Akpossogna, l’un des avocats les plus compétents à l’échelle nationale. Effacé, discret et humble, cet avocat est d’une efficacité remarquable.
Sur la recevabilité
A- Sur la référence de la décision
- Le recours du demandeur a été formé contre la décision N°080/HAAC/P/21 du 03 novembre 2021 et non contre la décision N°080/HAAC/21/P. Ceci transparaît aisément à la première page de la requête. La HAAC croit tromper la religion de la cour en se fondant sur une coquille qui s’est glissée dans la référence relevée dans le dispositif de la requête introductive d’instance. Le concluant prie la cour de constater que c’est juste une erreur qu’il rectifie et sollicite que la cour lui en donne acte. B- Sur la notification et le délai
- Le demandeur n’a reçu aucune notification par quelque moyen que ce soit avant la notification formelle du jeudi onze (11) novembre 2021, faite par l’huissier de justice, Sama BOTCHO. La HAAC soutient la notification par voie électronique sans apporter la preuve matérielle qu’effectivement le demandeur a bien reçu la décision à telle date. Le concluant s’étonne que la HAAC produise une preuve attestant l’envoi par mail de la décision sans en prouver que celui-ci a atteint effectivement le destinataire. La cour constatera que c’est juste une preuve d’envoi et non une preuve de réception. Aussi est-il curieux que le courriel n’est pas envoyé au seul destinataire qu’est le concluant, mais à une mailing liste où est répertoriée une pléthore de destinataires, sans ignorer le fait qu’aucune loi de la République ne prévoit la notification par mail. Le message introductif du courriel: « Bonjour ! Je vous prie de trouver ci-joint la Décision de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) portant suspension du bimensuel La Symphonie. Bonne réception », est envoyé par le chargé de communication de la HAAC le mercredi 03 novembre 2021 à 18h39 à un groupe de journalistes où figure le concluant, le message ne lui est pas personnellement destiné et ne porte aucune mention de notification d’une décision d’une institution constitutionnelle. La HAAC étant bien consciente qu’elle n’a pas notifié ladite décision comme la loi la lui recommande s’est rattrapée en lui notifiant par voie d’huissier la décision suivant exploit suscité en date du 11 novembre 2021. Que si computation il doit y avoir, c’est à compter de cette date du 11 novembre 2021.
Sur le fond, le demandeur s’en était tenu à ses développements faits dans la requête introductive, en apportant quelques compléments d’information. Sur la réponse de la défenderesse au 3e moyen du demandeur, La Symphonie ajoute : « Que s’il est vrai qu’au cours de son audition, le demandeur, en toute humilité, a présenté ses excuses au président et aux membres de la HAAC sur des propos qu’ils jugent, à leur appréciation, offensants, cela ne saurait en aucun cas s’analyser en un reniement de son article ni en une reconnaissance de fautes professionnelles graves ; -Que le demandeur met la HAAC au défi de prouver qu’il a reconnu les graves manquements professionnels ; -Que la demanderesse, en fondant sa défense sur les alinéas 1 et 2 de l’article 65 de la loi organique relative à la HAAC se fourvoie complètement et affiche par-là sa volonté de manipuler la cour de céans ; -Qu’en prononçant la suspension pour deux mois de La Symphonie, la HAAC se rend coupable de la violation de l’article 65 alinéa 3 de la loi organique N°2018-029 portant modification de la loi organique N°2004-021 du 15 décembre 2004 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et la Communication ; -Qu’au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter les vains moyens de la défenderesse ».
L’audience et la décision de la cour
9 décembre 2021, l’audience est ouverte à 8h 11’ par Mme Djidonou Akpene, la présidente de la chambre administrative, entourée pour la circonstance des autres membres, Kindbelle Yvetus Assah, Kossi Houssin, Atara M’dakena et Mme Apoka Zekpa. Le ministère public était représenté par le 3e avocat général de la Cour, Yao Mawuli Fiawonou. Les parties, représentées par Me Dandakou et Me Joseph Akpossogna, défendant respectivement les intérêts de la HAAC et de La Symphonie, sont appelées à la barre. La présidente rappelle les faits et procédure, avant de donner la parole aux parties pour leurs observations. Me Akpossogna, premier à prendre la parole, s’est offert une brève et brillante plaidoirie pour soutenir la recevabilité de la requête de son client, avant de motiver la demande d’annulation de la décision attaquée. Me Dandakou, à son tour, dit s’en tenir aux écritures du mémoire où un développement exhaustif a été fait. Suivront après les réquisitions de l’avocat général. Yao Mawuli Fiawonou, vêtu de sa toge brillant d’indépendance et d’impartialité, déclare, sur la forme, recevable la requête de La Symphonie, car, soutient-il, la notification par voie électronique, ne répond à aucune disposition légale au Togo. Sur la coquille qui s’est glissée dans la référence de la décision de la HAAC, l’avocat général la considère comme « une erreur matérielle. Il a rappelé tout gentiment à la HAAC qu’elle-même avait commis une erreur « monumentale » dans la publication de la décision attaquée. En effet, la HAAC avait dans un premier temps publié une décision datée du 03 octobre 2021, avant de revenir après publier la version correcte, celle datée du 03 novembre 2021.
Sur le fond, des quatre moyens de droit invoqués par La Symphonie, l’avocat général rejette trois et juge seulement fondé le deuxième. Largement suffisant. Il applique à la décision de la HAAC le principe de la légalité des peines et des délits et conclut que l’institution n’a pas compétence à statuer et sanctionner La Symphonie sur la base de l’article 159 du code de la presse et de communication ; il a par ailleurs souligné la mauvaise application de l’article 65 al.3 de la loi organique relative à la HAAC. Pour Yao Mawuli Fiawonou, la sanction attachée à l’article 159 du code de la presse et de communication ne relève pas de la compétence de la HAAC. Il estime que l‘institution de régulation, en se fondant sur ce texte, « a manqué de donner une base légale à sa décision ». « Cette décision est mal prise, il faut l’annuler pour que la HAAC sache que prochainement il ne faut plus aller dans ce sens », a-t-il conclu.
Les parties vont reprendre la parole pour leurs dernières observations. Assuré de sa victoire, Me Joseph Akpossogna ne dit plus mot, affichant une sérénité imperturbable. En revanche son confrère, tout agité, mais la voix quasi éteinte, va s’époumoner à renseigner la cour sur le sexe des anges. Inutilement. La cour se retire à 8h 52’ et revint à 9h 20’ pour vider le délibéré. La présidente Djidonou Akpénè, celle qui traîne derrière un long et brillant parcours, va faire ce qui a toujours distingué sa carrière : dire le droit en toute responsabilité. Une longue décision de plusieurs minutes, mais au fil du temps, de l’exposé des moyens aux motifs, les sillons de l’annulation de la décision attaquée se dessinaient avec clarté. Mme Djidonou Akpénè martèle que la HAAC ne peut se substituer à une juridiction répressive de droit commun pour apprécier souverainement les faits, actes et délit reprochés au directeur de publication de La Symphonie, « sans entacher sa décision d’illégalité ».
Viendra le fameux alinéa du dispositif, qui « annule la décision N°080/HAAC/P/21 du 03 novembre 2021 ». Ainsi la cour, dans toute sa souveraineté, a suivi à la lettre, au nom de la logique du droit pur, les prétentions du demandeur et les réquisitions de l’avocat général.
Victoire historique
Le caractère historique de cette décision de la cour suprême réside dans le fait que beaucoup de Togolais ne s’attendaient à pareil dénouement. En considération des préjugés et des pesanteurs sociopolitiques fortement ancrés dans l’imaginaire collectif, l’on donnait perdant le plus faible devant le plus fort. C’était dans la réalité l’hypothèse qui semblait plus probable, sinon rationnelle. La décision de la cour a emporté et déconstruit tous les préjugés, confondant les plus sceptiques, pour rappeler que tous les piliers de la justice togolaise ne se sont pas encore affaissés. Il existe encore des magistrats intègres et courageux, aussi bien de la nouvelle que de l’ancienne génération, capables de mobiliser leurs compétences au service de la justice pour combattre l’injustice, et qui ne se laissent gouverner que par la loi et leur conscience. Même si cette grille de lecture peut être remise en cause par mille et un événements.
En tout cas, MM. Djidonou Akpene et Apoka Zekpa, Kindbelle Yvetus Assah, Kossi Houssin, Atara M’dakena et Yao Mawuli Fiawonou viennent de rappeler à leurs collègues magistrats, de tous les degrés de juridictions, leurs responsabilités dans la consolidation de l’Etat de droit, de la démocratie, de la paix et de la sécurité sociales. Pour ceux qui pataugent encore dans les fanges des vices et qui y ont laissé tomber l’épée du droit pour enfourcher le glaive de la criminalité par l’application tendancieuse des textes de loi, une conversion des cœurs devient plus qu’un impératif.
Yves GALLEY, Parution n° 195 du bimensuel LA SYMPHONIE