Une infraction présumée sans indices graves et concordants, et voilà Dimas Dzikodo sous mandat de dépôt dans une affaire où son seul crime jusque-là aura été sa proximité avec le principal auteur resté introuvable. Figure emblématique de la presse togolaise, Dimas est poussé et maintenu dans les liens de détention préventive depuis plusieurs jours pour, dit-on, complicité d’escroquerie. Ce qui ne veut rien dire en droit si le ministère public a du mal à démontrer les faits incriminés. Cabale politico-judiciaire ou affirmation d’un Etat de droit où tout citoyen, quel qu’il soit, est un sujet de droit?
La justice togolaise s’invitant, à juste raison, dans le trading gate, a ouvert une information judiciaire avec mandat de dépôt contre 18 personnes après une enquête préliminaire de deux semaines. La plupart des mis en cause sont les premiers responsables des sociétés qui, par une supercherie grandeur nature, ont réussi à extorquer de gigantesques sommes à des milliers de victimes qui croupissent aujourd’hui dans l’engrenage de la fatalité. Un des inculpés, Dodji Jean-Baptiste Dzilan alias Dimas Dzikodo, journaliste de son état, directeur de publication du quotidien Forum de la semaine, cristallise les débats et alimente l’incompréhension. De l’enquête préliminaire jusqu’à sa présentation au procureur de la République, les faits répréhensibles reprochés à ce dernier n’ont été révélés ni à lui-même, ni à ses avocats. L’incapacité du parquet à répondre à la question : “que reprochez-vous concrètement à Dimas?”, a provoqué une vive réaction des avocats.
Poursuite infondée
Lors de l’enquête préliminaire, en quatorze jours, Dimas a été auditionné dans les premières soixante-douze heures, alors que les charges à son encontre ne lui ont pas été formellement signifiées en violation de l’article 17 de la Constitution qui énonce : “Toute personne arrêtée a le droit d’être immédiatement informée des charges retenues contre elle”. L’audition était articulée autour de trois questions essentielles, à savoir comment il connaît Ghislain Awaga, s’il l’amenait aux autorités contre une forte commission, et quels sont ses avoirs. Dimas a été constant dans ses réponses, les relations entretenues avec Awaga n’ont rien de répréhensible, et pour preuve, aucune question portant sur un fait précis condamnable n’a été formulée par les enquêteurs.
En ce qui concerne l’influence exercée sur les autorités à investir contre commission, Dimas a catégoriquement rejeté cette allégation. “J’étais avec Awaga chez le Premier ministre Klassou et le ministre Yark. C’était pour présenter son projet de construction de 100 latrines publiques et 100 forages au nord du Togo dans le cadre du PND. Ces autorités sont tous là pour témoigner. Pour les investissements, aucune autorité ne peut soutenir que c’est moi qui l’ai persuadé à injecter de l’argent dans GTC pour le trading. Il faut citer les noms de ces autorités et faire s’il y a lieu une confrontation”, se défend-il. Le fait d’écrire ou d’exprimer son point de vue par voie de presse sur le bien-fondé de l’activité des sociétés de trading dans le cadre de l’exercice de sa profession de journaliste ne peut aucunement engager sa responsabilité pénale, autrement beaucoup de journalistes togolais seraient également poursuivis pour avoir fait l’apologie de ces différentes structures. D’ailleurs, la télévision nationale (TVT) n’a-t-elle pas offert son canal pour telle cause ?
Dans une enquête préliminaire rigoureusement menée pour rechercher les éléments ou indices d’une complicité d’escroquerie, l’on devait s’attendre à des questions plus poussées, les enquêteurs devraient même chercher à en savoir davantage sur le modus operandi de la complicité présumée. Mais Dimas est resté libre de toute audition onze jours durant. Les enquêteurs se sont limités à des questions qui semblent insinuer qu’ils recherchaient plutôt un délit de relation de proximité. Il semble qu’au Togo ce délit est constitué, car dès lors que votre numéro de téléphone se retrouve dans le répertoire d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, vous en êtes automatiquement complice. N’est-ce-pas une incongruité ?
Avant sa mise en route (du lieu de la garde à vue au parquet), Dimas n’a même pas été autorisé à lire le procès-verbal sanctionnant l’enquête préliminaire avant d’apposer sa signature. Devant le parterre de magistrats du parquet d’instance de Lomé placé sous l’égide du premier, la complicité d’escroquerie a été confirmée et retenue comme charge. Les avocats de Dimas demandent quels sont les faits constants qui déterminent l’enclenchement de la poursuite pénale. Aucune réponse, le parquet dit s’en remettre à l’information judiciaire. A bien comprendre, l’enquête préliminaire n’a pu établir les actes posés par Dimas qui tombent sous le coup de la loi, avec des indices graves et concordants qui sont de nature à motiver son inculpation. Il est donc mis en prison, en attendant que les faits à lui reprochés soient recherchés et établis. Simplement un scandale.
Aux questions “Qui sont les victimes des actes posés par Dimas”; “Qui sont les plaignants”, seule réponse du parquet à retenir: l’Etat est le plaignant. Mais n’est-ce pas le même Etat qui a autorisé l’implantation de Global Trade Corporation et la plupart des autres structures de trading ? N’est-ce-pas le même Etat qui a autorisé le déploiement de la force publique pour assurer la protection des sièges sociaux de ces structures ? La forte présence de la police et de la gendarmerie aux alentours de ces sociétés, plus protégées même que les banques, a contribué à renforcer leur crédibilité et leur fiabilité aux yeux de la population. Et c’est le même Etat qui, un de ces quatre, à brûle-pourpoint, décide de la fermeture de toutes ces sociétés, alors que jusque-là, la plupart n’étaient en défaut de paiement. Et aujourd’hui, c’est le même Etat qui poursuit. Mais de quoi se plaint l’Etat ? Peut-il se prévaloir de sa propre turpitude ?
L’article 448 du Code pénal du Togo définit l’escroquerie comme “le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.” Si Ghislain Awaga s’est rendu coupable de la violation de cette disposition, il est constant que la responsabilité pénale est individuelle, comme le confirme l’article 15 du Code pénal : «On ne peut être responsable pénalement que de ses propres faits, actes ou omissions.” Si Dimas est son présumé complice, l’accusation doit rapporter les preuves de sa complicité. Sinon, pour aucune raison, aucun justiciable ne peut subir le supplice des actes posés par un tiers. La proximité avec un présumé criminel ne saurait en aucun cas constituer un délit encore moins une complicité de celui-ci.
Injustement incarcéré
GTC était une société anonyme simplifiée, avec pour objet : courtage et finances. C’est sous la bannière de cette société que se faisaient les activités de trading. En septembre 2020, la société a engagé un processus de migration pour changer de forme juridique en vue de devenir société anonyme avec constitution de conseil d’administration. En plus, la société change d’objet qui porte dorénavant sur les investissements dans l’agro-alimentaire, les nouvelles technologies, l’immobilier… Dimas a été sollicité par Awaga, pour faire partie du conseil d’administration de la société restructurée dont l’objet n’a plus rien à voir avec l’appel public à l’épargne et le trading.
Dimas, quatrième sur la liste des membres du conseil d’administration, n’a jamais posé un acte au nom de la société. Il est important de préciser que ledit conseil d’administration ne s’est jamais réuni, par conséquent, aucun acte n’engage la responsabilité de ses membres. Les statuts des deux structures ont été soumis par les avocats à l’appréciation des procureurs. Après leur consultation, ceux-ci demandent à Dimas si entre-temps, il n’a pas posé d’actes répréhensibles. Les avocats ont rétorqué qu’il revient à l’Etat, l’accusateur, d’exposer les actes incriminés et d’en rapporter les preuves, pour que le mis en cause avance ses moyens de défense. D’ailleurs le conseil d’administration est un organe de contrôle et non de gestion. Donc ses membres ne peuvent être poursuivis pour des actes commis par l’organe de gestion.

Doit-on le rappeler, jusqu’en février 2021, quelques semaines avant l’interdiction des activités des sociétés de trading par le ministère de l’économie et des finances, le directeur général adjoint de GTC qui animait des conférences de presse et présidait publiquement les activités de GTC, était bel et bien Alley Godwin. Même s’il a démissionné par la suite, il est inconcevable que la responsabilité de Dimas, arrivé dans les dernières heures d’existence de la société, soit fortement engagée au détriment de la sienne en l’absence de Ghislain Awaga. Alley Godwin n’est nullement inquiété, fort étonnamment. C’est curieux…. De surcroît, il n’est même pas écouté comme témoin. Même le notaire qui a piloté le processus de changement de forme juridique de la société n’a pas été écouté, alors qu’il détient des informations précieuses devant servir à éclairer la religion des enquêteurs.
Il se susurre aussi que Dimas aurait pris un engagement devant le Scric au nom de GTC pour rembourser tous les souscripteurs. L’intéressé, interrogé, affirme n’avoir jamais pris d’engagement ni oral ni verbal. Le Scric a convoqué par deux fois la secrétaire de GTC qui ne pouvait se présenter, étant enceinte et presque à terme. A la deuxième convocation, répondant à la sollicitation de cette dernière, Dimas se serait présenté pour justifier l’incapacité de la dame à comparaître. Une telle démarche est loin d’engager sa responsabilité pénale. Par ailleurs, au 12è jour de la garde à vue de Dimas, le directeur des ressources humaines de GTC a été interpellé. Lors de son audition, il aurait tenu des propos qui lavent Dimas de tout soupçon, confirmant que Dimas ne figurait nulle part dans l’organigramme de l’organe de gestion de GTC. Hélas, Dimas sera jeté en prison.

Complot, cabale…
En matière de privation de liberté, l’article 12 du code de procédure pénale dispose que « la détention préventive est une mesure exceptionnelle » qui ne peut donc être ordonnée que sur la base de l’existence des indices graves et concordants pouvant motiver l’inculpation ou la mise en examen d’un individu d’avoir commis un délit ou un crime. Où sont les indices ? Si le parquet a de la peine à réunir les éléments pouvant motiver l’inculpation, il est dangereux et scandaleux d’envoyer derrière les barreaux un mis en cause, alors qu’il est licite d’envisager dans pareils cas, l’ouverture d’une information judiciaire sans mandat de dépôt, c’est-à-dire, une libération et un placement sous contrôle judiciaire.
Le pénaliste italien Francesco Carrara définit l’infraction comme la violation d’une loi de l’État, résultant d’un acte externe de l’homme, positif ou négatif, socialement imputable, et qui est puni d’une peine prévue par la loi. Pour que l’infraction existe, il faut la réunion de trois éléments: l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral. L’élément matériel consiste en l’attitude positive ou négative réprimée par la loi ; c’est la manifestation concrète de la volonté délictueuse du délinquant. Il n’y a pas d’infraction sans élément moral: il faut que l’acte répréhensible soit issu de la volonté de son auteur; il est nécessaire qu’existe un dol général qui se définit comme la conscience ou la volonté d’accomplir un acte illicite. Si l’élément légal en ce qui concerne la complicité d’escroquerie ne fait débat ici, l’accusation à qui incombe la preuve, n’a pu réunir les éléments moral et matériel constitutifs de l’infraction, ce qui veut dire que le mis en cause n’avait pas matière pour mobiliser ses moyens de défense. D’où la totale incompréhension de son incarcération, confortant la thèse de ceux qui croient mordicus qu’il s’agit d’une cabale politico-judiciaire.
Dimas n’a jamais créé de société de trading, n’a pas participé à la création de GTC, n’est pas le trésorier de Ghislain Awaga, Dimas ne fait pas partie de l’organigramme de la direction générale de GTC. La société prospérait depuis, a déjà collecté ses milliards auprès des victimes avant qu’il ne soit sollicité pour être membre d’un conseil d’administration qui ne compte dans ses archives un seul PV de réunion. Dimas a livré aux enquêteurs des informations sur ses comptes bancaires ; sur un compte, il est sous prêt, sur le second on retrouve moins de cent mille francs CFA. Preuves que le mis en cause ne s’est pas vraiment enrichi avec le système Awaga et tire encore le diable par la queue. L’accusation ne disposant pas d’indices graves et concordants pour établir irréfutablement la culpabilité du mis en cause, l’hypothèse d’un acharnement, d’un complot visant à tout simplement humilier, calomnier, ou détruire la solide réputation de Dimas Dzikodo paraît plus que fondée.
Faure met Dimas en prison?
Dimas est étiqueté comme un journaliste qui défend corps et âme le régime au pouvoir et particulièrement Faure Gnassingbé. Une partie de l’opinion croit même qu’il défend l’indéfendable s’il s’agit de la cause du parti au pouvoir. « Sur certains sujets clairement défavorables au pouvoir, dans la presse togolaise, il n’y a que Dimas qui monte au front pour défendre Faure et son régime. Il faut lui reconnaître cette loyauté inébranlable », commente un directeur de publication qui a préféré garder l’anonymat. Une évidence, Dimas, depuis des années, mobilise sa force de persuasion, son éloquence admirable et son lourd bagage culturel, juridique et politique pour démontrer et soutenir, partout où besoin est, que le Togo, sous la gouvernance Faure, réalise des progrès indéniables et suscite des espoirs d’émergence. Homme de conviction, grand combattant de l’injustice, il ne s’abstient pas s’il s’agit de dénoncer, toujours avec la même verve, des dysfonctionnements de l’administration togolaise et des dérives de certains magistrats qui jettent l’anathème sur la magistrature. Ses prises de position dans le débat public, pour les uns, devraient lui assurer une immunité contre le traitement dégradant et injuste à lui réservé actuellement, c’est pourquoi l’opinion a eu du mal à juger crédible l’information relative à son interpellation, pire de sa mise en prison.
Erreur ! Dans un Etat de droit, il faut le souligner, tout citoyen est un justiciable, même le chef de l’Etat est un sujet de droit. Dimas ne peut bénéficier de circonstances particulières pour échapper à la justice, il peut être poursuivi si les éléments constitutifs de son infraction sont nettement établis. Il se trouve, malheureusement, que dans le cas d’espèce, Dimas, en violation de l’article 15 de la Constitution, est arbitrairement détenu, étant donné que l’enquête préliminaire n’a pu établir, de façon claire et précise, les faits qui lui sont reprochés, et que le parquet se soit montré incapable de pointer les actes répréhensibles qui justifient sa poursuite et sa détention. La seule lecture pour le moins réaliste qui se dégage de cette incarcération de Dimas aux antipodes des dispositions du Code de procédure pénale, reste un complot politique savamment ourdi par des instigateurs tapis dans les rouages de l’Etat. Ceux-ci, l’occasion fait le larron, ont su saisir l’opportunité pour régler des comptes et assommer Dimas.
Faure n’a aucun intérêt à ordonner l’incarcération en toute injustice de Dimas. C’est mal connaître la puissance de nuisance de certains réseaux du parti au pouvoir, de certains individus lugubres qui, pour des intérêts mafieux, peuvent engager leur génie pour peindre en noir leurs cibles auprès du chef de l’Etat ; et pire, aller jusqu’à instrumentaliser et déterminer des magistrats peu courageux ou peu audacieux à poser des actes dont la légalité souffre de pertinence, mettant par-devant, et souvent faussement, le nom du chef de l’Etat. Faure, mis devant des faits accomplis, en bon démocrate, garant de l’indépendance de la justice, laisse les procédures judiciaires suivre leur cours normal. Il ne fait l’ombre d’un doute que dans le cas Dimas, c’est encore le même schéma qui se dessine, la même machination. C’est pourquoi il revient au collège d’avocats de Dimas, constitué de Me Adigbo, Me Gilles Anani, Me Degli et Me Agnina, de mouiller la toge sur le front de la bataille judiciaire pour essayer d’obtenir une libération provisoire de leur client.
Liberté provisoire possible ?
Dès l’ouverture de l’information judiciaire, conformément à l’article 115 du code de procédure pénale, la mise en liberté peut être demandée à tout moment, soit par l’inculpé, soit par son conseil. On peut présager que le juge d’instruction, Atandji Koffi, qui a cinq jours pour statuer, va favorablement trancher. Autrement, les avocats pourraient relever appel, et l’inculpé lui-même pourrait saisir directement la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Lomé qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononcera dans les quinze jours suivant l’arrivée de la demande au greffe de la Chambre d’accusation.
Si le dossier d’accusation se révèle vraiment léger, comme tout porte à le croire, Dimas pourrait compter sur la sagesse du juge d’instruction Atandji Koffi , ou de Kodjo Gnambi Garba, procureur général près la Cour d’appel de Lomé, et de Ernest Bignang, président de la chambre d’accusation, des magistrats rigoureux, vertueux, respectables, considérés par les jeunes magistrats comme des modèles et des repères.
Au demeurant, les organisations de presse, qui ont déjà commencé les opérations de lobbying à travers le Conapp, l’Ujit, l’Otm, l’Upf-Togo, devraient intensifier leurs actions pour exiger la libération d’un confrère dont la détention se justifierait plutôt par autres motivations que celles d’une imaginaire complicité d’escroquerie.
Les organisations de défense des droits de l’homme, si elles sont réellement engagées pour la cause des droits de l’homme, doivent se faire le devoir d’agir, pour faire arrêter au plus tôt la détention arbitraire d’un citoyen dont les droits élémentaires dans une procédure pénale, notamment celui d’être informé des faits qui lui sont reprochés, sont bafoués. Autrement, notre démocratie et notre Etat de droit en construction sont en danger.
Et pour nourrir toute action légitime en faveur de la libération de Dimas, fortifions-nous et abreuvons-nous à la source de cette pensée du Pasteur Martin Niemöller :
«Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
