Touadéra ou le paradigme d’une rupture intelligente avec la France

Un véhicule de transport de troupes russe parade à Bangui le 15 octobre 2020.

La relation exclusive de prédation que la France a établie depuis l’époque coloniale avec la Centrafrique est fortement menacée par le changement de paradigme dans les relations internationales par le président Touadéra et son gouvernement. Bangui a donc rétabli sa coopération avec la Fédération de Russie, une relation bilatérale qui a commencé depuis que la Russie était l’URSS. Paris est aux abois à Bangui, Moscou y répand une odeur de parfum ambré.

 

Le contexte international est aujourd’hui marqué par des rivalités internationales de plus en plus exacerbées entre le bloc occidental (États-Unis et Union Européenne) et le Bloc de la Résistance (Russie, Chine, Iran) et leurs alliés respectifs. La bataille des grandes puissances pour un meilleur positionnement géopolitique devient de plus en plus rude. Pour préserver son intégrité territoriale et ses intérêts légitimes, la Fédération de Russie bouleverse ces derniers temps les relations internationales. Dans le Moyen-Orient, notamment en Syrie, Moscou a court-circuité la diplomatie occidentale, dissuadé l’intervention militaire américaine promise par Barack Obama en 2013, en déployant un bouclier militaire et sécuritaire pour la Syrie de Bachar al-Assad.

Le Bloc de la Résistance a aidé militairement et diplomatiquement la Syrie à gagner la guerre contre les proxys occidentaux et à reconquérir presque l’ensemble de son territoire. Moscou élargit également sa présence en Haut-Karabakh, en Arménie et en Azerbaïdjan. Il tient en respect les puissances ennemies partout où le Kremlin décide de défendre ses intérêts. Cette logique est bien respectée sur le continent africain que la Russie considère comme une ligne stratégique majeure dans la guerre qu’elle mène pour sa survie et pour la défense de ses intérêts stratégiques.

“L’emprise russe en République centrafricaine inquiète Paris”, ce titre du journal français Le Monde renseigne parfaitement sur l’embarras dans lequel la présence russe à Bangui plonge la France.

 

La RCA est une ex-colonie et néocolonie française, mais cet Etat a toujours affiché la volonté de briser le joug français. En 1964, David Dacko, 1er président du pays, signe des accords avec l’URSS et la Chine Communiste. Paris réagit. Un coup d’État est organisé. Suite à l’échec de ce coup d’état contre David Dacko, Jean-Bedel Bokassa prend le pouvoir par la force militaire. Vite, le président putschiste se rend compte qu’il a été manipulé et que la France pille son pays.

Pour sortir du piège, il se tourne vers la Libye et les pays du bloc de l’Est. La France le prend mal. Et coup d’État. Ainsi de suite, jusqu’à l’élection démocratique de Faustin-Archange Touadéra, l’actuel chef de l’État, un érudit, courageux panafricaniste et leader charismatique. Celui-ci s’active à extirper son pays des griffes sanglantes de la France. D’une grande intelligence géopolitique, il rétablit les relations avec la Fédération de Russie, notamment les relations militaires et sécuritaires, et blinde ainsi son pays contre les coups d’états et les assassinats que la France a l’habitude d’orchestrer. Son objectif est de rétablir la souveraineté de la République de Centrafrique, travailler pour son essor économique et le bien-être de son peuple.

Touadéra sur le dos de l’éléphant
Depuis 1990 et même bien avant, sinon depuis l’indépendance le 13 août 1960, la RCA connaît des soubresauts sociopolitiques faits de coups d’Etat et de tentatives de déstabilisation menés par des groupes rebelles. Ceux-ci ont réussi à occuper 3/4 des 623 000 km2, réduisant l’autorité de l’Etat sur seulement 25% du territoire. Avec l’aide de la Russie, les Forces armées centrafricaines ont renversé la donne. L’Etat contrôle désormais 80% du territoire national.

Dès 2018, la Russie, à la demande du pouvoir centrafricain, a déployé des centaines d’instructeurs civils pour former les soldats des Forces armées centrafricaines (FACA). Les premières armes en provenance directe de Moscou ont atterri sur le tarmac de l’aéroport de Bangui en janvier 2018. Les négociations avaient été entamées en novembre 2017, soit quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Touadéra. Moscou a livré, entre 2018 et 2020, plusieurs cargaisons pour équiper les FACA.

Une coopération à laquelle le peuple centrafricain adhère avec effervescence, comme le confirme un reportage de TV5 : “Nous sommes ce 15 octobre 2020 sur l’une des artères les plus fréquentées de Bangui. Des centaines de taxi-motos et une foule curieuse accompagnent au son des klaxons l’arrivée de six blindés sur lesquels flottent drapeaux russe et centrafricain. Ces vénérables BRDM-2, véhicules de transports de troupes conçus sous l’ère soviétique dans les années 60, doivent désormais équiper une armée centrafricaine toujours soumise à un embargo sur les armes depuis 2014 et dépourvue d’équipement lourd. Dix autres blindés supplémentaires sont attendus.”

Entre-temps, la Russie a obtenu du Conseil de sécurité de l’Onu une levée partielle de l’embargo sur les armes, ce qui est interprété comme une onction de l’ONU à l’intervention russe en RCA.

 

Bataille d’influence
Cette invitation de la Russie par le Président Touadéra est considérée par la France comme une intrusion inacceptable dans sa zone de chasse. Une guerre médiatique et diplomatique s’engage entre la puissance coloniale et la Russie. En décembre 2020, Facebook a annoncé avoir supprimé des comptes de “trolls”, gérés directement depuis la Russie et la France. Plus récemment, une enquête de RFI rassemblant différents témoignages sur des exactions des instructeurs russes présents en RCA, a suscité la colère de l’ambassade russe à Bangui. RFI, pour des raisons évidentes, ne s’est guère intéressée aux exactions des français en RCA, et n’a jamais été tentée de réaliser un sujet sur le désastre de la colonisation française dans ce pays.

Lundi 10 mai 2021, un ressortissant français a été arrêté à Bangui, accusé d’activités subversives. L’homme, âgé de 55 ans se fait passer pour un journaliste, alors qu’il est identifié comme un garde du corps ayant travaillé dans plusieurs organisations. Il avait chez lui à Bangui un arsenal d’armes de guerre et de précision impressionnant : fusil, fusil-mitrailleur, lunettes de visée diurne et nocturne, boîtes de cartouches, menottes, gilets pare-balles… L’information, confirmée officiellement, s’est répandue sur les réseaux sociaux avec des photos de l’arsenal.
En pleine guerre médiatique, la Centrafrique, en collaboration avec la Russie, sort « Touriste », première superproduction russo-centrafricaine, un long métrage en langue Songo, la langue nationale, qui glorifie la collaboration militaire et sécuritaire Centrafrique-Russie contre les rebelles et les terroristes.

« Touriste », film réalisé par Andreï Batov, retrace avec fidélité la contribution russe à la stabilisation de la RCA lors de l’élection présidentielle de décembre 2020. Il a été diffusé en avant-première le 14 mai 2021 dans le plus grand stade de Bangui plein à craquer.

Dans ce film, dédié aux héros défenseurs centrafricains et russes, soldats centrafricains et instructeurs militaires russes combattent héroïquement des hordes de rebelles sanguinaires. Les scènes d’action ont été tournées dans de vrais camps militaires, alors que des combats faisaient encore rage dans le pays. La fibre nationaliste est ainsi exaltée et le sentiment de libération de l’emprise de la France a considérablement augmenté. Un sentiment partagé partout sur le continent africain.

L’intelligent paradigme de Touadéra
Tous les pays africains sous domination de la France cherchent depuis des décennies à retrouver la pleine possession de tous les attributs de leur souveraineté, aussi bien économique, politique que sécuritaire. Mais la violence et les assassinats par la France des dirigeants africains soucieux de la souveraineté de leurs nations visent à les en dissuader. Cette attitude française a amené les leaders africains à réexaminer et à modifier leurs stratégies sans sacrifier pour autant leur panafricanisme, cette idéologie qui promeut la souveraineté africaine dans tous les domaines.

En effet, le flambeau du panafricanisme est resté toujours allumé. Cette dernière décennie, ce n’est plus quelques leaders qui, de manière sporadique, lèvent la voix pour dénoncer et combattre la prédation et le pillage systématiques dont l’Afrique est victime de la part de la France. La lutte a pris une plus grande dimension, avec une ampleur extraordinaire. Elle est essentiellement propulsée par les technologies de l’information et de la communication, notamment les réseaux sociaux, dans un contexte de mondialisation. L’éveil de conscience se généralise et le sentiment de détestation de la France est croissant. Ces mutations sociales ont obligé la France à doter la Françafrique de mécanismes de pillage et de prédation plus subtiles. Mais les africains éveillés veillent au grain, sont toujours à la quête des voies et moyens pour faire sauter les chaînes de dépendance de la France en vue de recouvrer leur souveraineté. Ils sont conscients que des actes forts s’imposent.

En coopérant militairement avec la Russie, sans demander l’accord de la France, Touadéra a fait preuve de fermeté et de souveraineté. Il a remis ainsi en cause toutes les dispositions du pacte colonial tombé dans la caducité.

Désormais, la France n’aura plus de « droit de priorité sur toute ressource minière brute ou naturelle du pays ». Il n’y aura pas non plus de « priorité aux intérêts des entreprises françaises dans les marchés publics africains ». Exit également, son « droit exclusif de fournir des équipements militaires aux armées africaines et de former les officiers militaires africains ». Jeté aux oubliettes « le droit pour la France de pré-déployer des troupes et intervenir militairement dans le pays pour défendre exclusivement ses intérêts » de prédatrice. Fini « la renonciation à entrer en alliance militaire avec tout autre pays, sauf autorisation de la France ». Pour conclure, la Centrafrique n’aura plus “l’obligation de s’allier avec la France en situation de guerre”.

Pour Touadéra, tout partenariat doit respecter la souveraineté de son pays et être conforme aux intérêts de celui-ci. Ce qui compte pour lui, ce sont des partenariats multipolaires gagnant-gagnant. Tout pays qui s’inscrit dans ces conditions est bienvenue en Centrafrique. Une posture qui doit rappeler à la France la célèbre citation de son président Charles de Gaulle : “Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.”


La bravoure et l’intrépidité de Touadéra posent ainsi les nouvelles balises de la souveraineté effective de l’Afrique, inaugurant de facto une nouvelle ère dans les relations entre l’Afrique et le reste du monde.

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